Bienvenue dans le
merveilleux monde du paraître et de la surestimation de soi.
Bienvenue également aux hypocondriaques qui s'inquiètent dès
l'apparition de la moindre grosseur, de la plus petite allergie
cutanée et qui à la lecture d'ouvrage consacrés à la médecine se
découvrent des légions de symptômes et de maladies incurables et
mortelles. Si le sujet de Sick of Myself ne tourne pas
en priorité autour de ce second sujet même si l'héroïne du récit
va s'affliger des souffrances terribles, il n'est pas idiot de penser
que certains se trouveront mal devant certaines séquences. Présenté
dans le section Un certain regard
du dernier festival de Cannes, le second long-métrage du réalisateur
et scénariste norvégien Kristoffer Borgli est une véritable bombe
dans lequel se complairont les amateurs de comédies noires, cyniques
et cruelles mais dont le message échappera sans doute à celles et
ceux qui n'ont qu'une infime parcelle de temps à consacrer à autre
chose qu'à leur propre personne. D'une remarquable limpidité, Sick
of Myself
déploie des trésors d'imagination afin de nous contraindre à
réfléchir sur certaines réalités qui depuis l’avènement des
réseaux sociaux et des dérives qui en découlent, ont accouché de
monstres. Celui du long-métrage de Kristoffer Borgli prend les
traits de l'actrice norvégienne Kristine Kujath Thorp. La jeune
femme dont la carrière a débuté il y a une dizaine d'années
incarne à l'image, Signe. La petite amie de Thomas (Eirik Saether),
un artiste influent, dont la popularité écrasante va faire réagir
sa compagne de manière tout à fait inattendue. L'on remarquera qu'à
priori, Signe n'est pas de ces jeunes femmes vivant sous emprise
puisqu'elle même cherche la reconnaissance par des moyens, au
départ, plutôt communs. Comme l'usage du mensonge qui dans le cas
de Sick of Myself
évolue sous forme de mythomanie. Pour commencer, la jeune femme
décide de s'inventer une allergie lors d'un repas afin d'attirer
l'attention des autres convives puisque tout le monde l'ignore...
Mais
la dérive devant atteindre des proportions physiquement et
mentalement maladives, c'est lors de la consultation d'un article sur
internet au sujet d'un médicament d'origine russe aux effets
secondaires désastreux que Signe va prendre LA décision qui selon
elle lui permettra enfin de s'affranchir de l'aura de Thomas et ainsi
de quitter son statut de partenaire invisible. D'une certaine
manière, on pourrait sensiblement rapprocher Sick
of Myself
de Contracted
qu'Eric England réalisa il y a de cela dix ans en arrière. Dans un
cas comme dans l'autre, la lente dégradation physique est réellement
éprouvante. La supporter sera même un véritable acte de courage
pour une partie de la population. Pourtant, Kristoffer Borgli semble
hésiter entre empathie et rejet. Si l'on suit les pas de Signe et si
la psychiatrisation que revêt ce besoin de reconnaissance peut se
justifier à travers certaines blessures (l'absence du père en est
une), la jeune femme n'en est pas moins une manipulatrice. Mais ce
qui n'était encore jusque là qu'un jeu plutôt innocent va prendre
des proportions telles que la comédie, aussi noire qu'elle puisse
être, va se muer parfois en authentique film d'horreur. Kristoffer
Borgli bat les cartes de telle manière que l'on passe au gré du
récit de l'émotion (merci à Gabriel Fauré, à Franz Schubert ou à
Ludwig van Beethoven) à la répulsion (quelques séquences
graphiquement presque insoutenables). Surtout, le réalisateur
norvégien brosse des portraits souvent peu flatteurs. Des créatures
froides, exploitant leur image ou celle des autres à des fins
exclusivement mercantiles. Un monde narcissique cauchemardesque où
seules sont attendues et espérées les réactions des autres sur
chaque action de notre propre existence. Une vie passée à vouloir
briller en société. Si l'acte en lui-même semble ici excessif, les
faits-divers témoignent au quotidien de l'inverse. Kristoffer Borgli
rejoint donc le grand œuvre du cinéma sans filtre scandinave dont
demeurent les chantres Thomas Vinterberg (Festen),
Lars Von Trier (Les Idiots)
ou bien Ruben Östlund
(Triangle of Sadness).
Bref, Sick of Myself
est un film qui secoue, dérange, émeut, amuse aussi parfois, et qui
d'une manière générale ne devrait pas laisser grand monde
indifférent. Finalement, le réalisateur et scénariste norvégien a
réussi là où la dernière saison de Black
Mirror
créée par le britannique Charlie Brooker a échoué : parvenir
à relancer le concept de dystopie liée au monde nouveau et aux
technologies...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire