Pour cet article consacré
à Jane Birkin qui nous a quitté dimanche dernier, j'ai choisi l'un
des trois longs-métrages qu'ont tourné ensemble le réalisateur
français Jacques Doillon et l'ancienne compagne de l'immense Serge
Gainsbourg. Chanteuse, réalisatrice mais aussi et surtout actrice
avec pas moins d'une quatre-vingt-dizaine de courts, de longs, de
séries et de téléfilms, l'anglaise Jane Birkin fut la conjointe du
réalisateur pendant douze ans. Ensemble, ils donnèrent naissance à
l'actrice Lou Doillon. Une précision qui a son importance tant Jane
Birkin semble être dans le cas de La fille prodigue, le
miroir ''physique'' de celle à laquelle elle allait donner naissance
un an plus tard. Elle et Jacques Doillon ont donc tourné ensemble
trois longs-métrages. Celui-ci fut le premier. Suivi de La
pirate
en 1984 et de Comédie ! trois
ans plus tard. Pourquoi porter mon choix sur La
fille prodigue
et
non pas sur l'un des deux autres ? Par goût de l'aventure,
peut-être. Ou bien sans doute parce qu'il est parmi les mal aimés
du cinéma de Jacques Doillon. Évoquer La fille
prodigue
plutôt qu'un autre, c'est comme de choisir un chat auquel il manque
un œil ou un chien qui n'a que trois pattes dans un refuge pour
animaux abandonnés. On peut comprendre que cette histoire réunissant
l'ancienne égérie de l'un des plus grands
auteurs-compositeurs-interprètes de France et Michel Piccoli puisse
avoir du mal à convaincre. C'est qu'il faut tout d'abord se faire à
ce rythme si particulier qui pourrait en endormir certains. Mais
lorsque l'on connaît, au hasard, La belle
noiseuse de Jacques
Rivette (dans lequel interviennent d'ailleurs Jane Birkin et Michel
Piccoli) et les quatre heures que dure la version longue, La
fille prodigue paraît
presque n'être qu'une balade de santé... L'actrice anglaise
interprète le rôle d'Anne, jeune femme mariée qui décide de
quitter son époux (l'acteur René Féret) pour se réfugier chez ses
parents à la campagne. Lui est interprété par Michel Piccoli, elle
par Natasha Parry. La fille prodigue
incarne
typiquement ce genre de films s'inscrivant dans une thématique osée
tout en l'abordant de manière sobre et pudique. Le long-métrage n'a
heureusement pas connu le triste sort de La
petite sirène
de Roger Andrieux qui, à moins que je ne me trompe, n'a jamais eu
les honneurs d'une sortie DVD
ou Blu-ray !
Les thématiques sont différentes, bien sûr. D'un côté, certains
estiment sans doute que le public n'est toujours pas prêt à renouer
avec la relation entre un garagiste quarantenaire et une adolescente
de quatorze ans (à une époque assez lointaine, La
petite sirène
sorti en VHS
et fut même diffusé à la télévision)...
De
l'autre, les sentiments troubles d'Anne pour son père semblent par
contre n'avoir aucun impact sur la censure. Et c'est tant mieux.
Parce que derrière les critiques assez peu élogieuses qui entourent
le film de Jacques Doillon se cache une œuvre qui en réalité
recèle d'authentiques qualités. À commencer par la plus
essentielle d'entre toutes en cette longue période de deuil dû à
la disparition de Jane Birkin : son interprétation. Car bien
qu'entourée d'un Michel Piccoli dont la posture ici lymphatique
l'empêche de pleinement exprimer tout son talent, La
fille prodigue repose
avant tout sur les seules épaules de l'actrice et chanteuse
britannique. Bien qu'apparaissant relativement frêle à l'image,
Jane Birkin donne, elle, la pleine mesure de son talent. Murmurant
presque ses lignes dialogues, la silhouette androgyne quasi
adolescente, c'est déjà à travers le titre que se révèle son
personnage. Cette femme-enfant qui n'a pas su grandir, dont la
relation amoureuse n'est qu'une illusion et qui de retour chez ses
parents alors qu'elle est dans une situation dépressive va régresser
jusqu'à redevenir cette gamine qui de son propre aveu voue une
véritable passion amoureuse pour son père. Maladive, la passion.
Entretenue par un père au comportement apathique. Là où le bât
pourra blesser, c'est dans le traitement du récit. La gêne que
pourrait causer le sujet rejoint cette forme théâtrale choisie par
le réalisateur et scénariste. De manière abrupte et peut-être
même improvisée, La fille prodigue prend
des formes onaniques qui semblent strictement s'adresser à son
auteur. D'ailleurs, le scénario repose sur la dépossession
affective dont fut la victime Jacques Doillon au décès de son père.
C'est donc un peu de lui que l'on retrouve chez le personnage d'Anne.
Sans être foncièrement sulfureux, le film s'adressera avant tout à
un public averti par avance des choix de mise en scène du
réalisateur. Il n'empêche que dans cette succession de séquences
intimes opposant Anne à son père, il demeure quelques passages qu
tiennent du miracle et donnent envie de prolonger l'expérience. La
partie de tennis... Ou encore ce repas auquel est conviée la
''maîtresse'' du père. Jane Birkin s'y impose de manière brillante
et ferait presque regretter que le reste du récit n'ait pas été
strictement pensé en de très courtes séquences comme celles-ci
plutôt que de nous infliger une suite d'affrontements débarrassés
de la moindre émotion. Une curiosité...
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