Imaginez-vous passer la
main au dessus d'une plaque de cuisson brûlante, puis de la placer
ensuite sous le jet d'une eau glaciale. Douleur et apaisement... Deux
sensations qui peuvent entretenir une étrange relation toute en
étant radicalement contraires. C'est un peu le sentiment qui se
dégage de The Forest of Love
(Ai-naki Mori de Sakebe)
du réalisateur japonais Sion Sono.
À force de nourrir mon quotidien à travers l’œuvre de ce grand
cinéaste du Pays du Soleil Levant, à force de contempler des films
où complexité rime avec génie de la mise en scène, je me disais
bien qu'un jour l'un d'eux allait surpasser tous les autres. Me
laissant sur le carreau comme en leur temps le Inland
Empire
de David Lynch, le Faux-Semblants
de David Cronenberg, le Santa Sangre
d'Alejandro Jodorowsky ou le Enter the Void
de Gaspar Noé. Il est facile de s'emballer pour une histoire, un air
de musique, un(e) interprète, une mise en scène et tout le décorum
qui les accompagne. Tout n'est alors que question d'alchimie. De
ressenti. Une communion que l'on sait partager avec d'autres qui
partout dans le monde auront ressenti cette même vague d'immense
tristesse, qui auront ri aux éclats et qui, très certainement,
auront ponctuellement eu la gorge nouée. Peu habitué à faciliter
la tâche de ses fidèles spectateurs mus par une égale fascination
et une adoration sans borne (la mienne n'aura pris qu'une poignée de
jours pour éclore), Sion Sono digérait en 2019 tout ou partie de
son propre cinéma pour nous proposer un condensé de son art. Avec
lui, le fond rejoint toujours la forme, scrutant le moindre détail,
la moindre imperfection, pour la gommer et offrir un produit
totalement accompli...
Avec
toujours cette volonté de parfaire son œuvre sous un jour
nihiliste. The Forest of Love
n'échappe pas à cette règle immuable ancrée dans l'univers du
réalisateur et scénariste qui une fois de plus s'en donne à cœur
joie. Ici, la naïveté façon ''guimauve'' s'exprime tout d'abord de
la manière la plus pure. La plus mièvre penseront certain. Sorte de
version japonisante de nos Premiers Baisers
encore plus ''nouille''. Une manière d'introduire huit étudiantes
''amies pour la vie'' que seule la mort peut séparer. Puis survient
le drame, conté sous forme de flash-back. Le chaînon le plus
important du groupe disparaît éclipsant ainsi les illusions. En
parallèle, Sion Sono évoque un fait-divers sordide : des
meurtres de jeunes filles en série dont les corps sont retrouvés
dispersés dans une forêt. D'un passage dans le passé à un retour
dans le présent, le réalisateur nous présente la clé de voûte du
récit. Un personnage qui d'emblée ne fait pas ombrage de la
malfaisance qui l'anime. Joe Murata (l'acteur Kippei Shîna) élimine
scrupuleusement des étudiantes qui ont toutes partagées la même
année d'étude. Contrairement à ce que l'on est en droit d'attendre
dans ce genre d'intrigue, nulle enquête policière ne viendra
s'intercaler entre le récit de ce tueur sadique et mythomane et ses
nouveaux (et vrais/faux) adeptes constitués de trois garçons ayant
l'ambition de tourner leur premier film et les deux seules filles du
groupe d'amies à être encore en vie...
Notons
que dans cette version de deux heures et trente et une minutes
manquent nombre de séquences qui furent réinjectées dans le
découpage en sept partie qui fut proposé plus tard au format série
pour une durée totale de presque cinq heures ! Si Eiko (Natsuki
Kawamura), Jay (Young Dais) et Shin (Shinnosuke Mitsushima) s'avèrent
plus ou moins indispensable dans la pleine compréhension du récit,
le film a tout d'abord pour objectif de mettre en lumière les
personnages de Joe Murata, Taeko (Kyoko Hinami) et Mitsuko (Eri
Kamataki). À ce titre, cette dernière nous offrira l'une des
séquences les plus déchirantes de l'histoire du cinéma. Hantée
par la mort de son ''Roméo'', fille d'un couple de bourgeois qui
portent tous leurs espoirs en elle (on comprend mieux la rudesse du
père), Mitsuko va être le déclencheur d'une étrange relation qui
se nouera entre le tueur et ces jeunes qui le soupçonnent pourtant
d'emblée être le responsable de la série de meurtres qui touche
les environs de Tokyo. Les habitués verront d'un bon œil le style
particulier de Sion Sono dont la complexité de la mise en scène
n'en est pas moins aussi précise qu'éclairée. D'une cruauté rare
mais aussi parfois terriblement drôle (les groupies/anciennes
maîtresses du tueur/gourou s'agglutinant lors d'un concert), The
Forest of Love,
tout de noirceur vêtu, n'oublie pas de s'humaniser, qu'il s'agisse
d'évoquer la représentation du Mal ou cet amour immodéré, emprunt
de fascination et de folie pour son prochain. Drôle, bouleversant,
gore, délirant, absurde, doté d'une très belle photographie signée
de Sôhei Tanikawa et de la magnifique partition musicale du
compositeur Kenji Katoh , The Forest og Love est
un chef-d’œuvre, tout simplement...
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