En 1973, le réalisateur
américain Brian de Palma étudiait le cas de deux sœurs siamoises
dans Sœurs de sang.
Un thriller très hitchcockien dans lequel l'auteur d'innombrables
chefs-d’œuvres du septième art abordait le thème de la double
personnalité. Le Mal, le Bien, confondus en une seule personne,
Danielle Breton (l'actrice Margot Kidder), apparemment saine d'esprit
mais plus concrètement atteinte de schizophrénie à la suite du
décès de sa sœur Dominique. Thriller alliant suspens et épouvante,
le spectateur pouvait y découvrir en outre le personnage d'Emil
Breton, ancien époux de Danielle et surtout, individu trouble
certainement comparable au rôle que tiendra presque vingt ans plus
tard l'acteur John Lithgow dans L'esprit de Caïn.
Un interprète se démultipliant pour les besoins d'un récit au cœur
duquel se situe un couple, l'éducation de leur enfant, un amant et
une fois encore cette même schizophrénie qui transparaît à
travers les échanges tendus entre le docteur Carter Nix et son frère
Caïn. Si tout le génie de la mise en scène de Brian de Palma
transparaît moins dans ce long-métrage que dans ses travaux passés
et à venir, l'absence de plans-séquences réellement significatifs
ou de modèles de split-screen dont le réalisateur est l'un des
grands maîtres est rattrapée par ces petits détails qu'il installe
ça et là et dont lui seul a le secret. Des objets souvent placés
au cœur du récit et justifiant le ballet entre d'une part Carter et
son épouse (la délicieuse Lolita Davidovich dans le rôle de Jenny)
et d'autre part entre celle-ci et son amant Jack Dante (l'acteur
Steven Bauer).
Enrobé
d'une esthétique léchée, de décors rassurants (ici, pas de
bas-fonds moites et dangereux), L'esprit de Caïn
s'insinue dans l'esprit du spectateur comme un rêve éveillé où
les repères sont bousculés par une mise en scène, un montage et un
script qui s'écartent de toute logique. Carter étouffe Jenny à
l'aide d'un oreiller ? Là voilà qui réapparaît quelques
minutes plus tard, bien vivante, comme si le crime n'avait jamais eu
lieu. Jouant souvent sur les apparences, il ne faut surtout pas s'en
laisser compter. Lorsque l'on connaît Brian de Palma l'on sait
combien l'homme est capable de manipulations. Et ça n'a jamais été
aussi vrai que dans le cas de ce long-métrage dont certaines
ficelles se montrent pourtant grossières. Que le réalisateur l'ait
envisagé ou non de cette manière, l'apparition presque
''fantastique'' de Caïn à l'écran ne peut signifier qu'une seule
chose : non pas qu'il soit passé là par hasard pour aider son
frère à se sortir d'une situation périlleuse mais plus simplement
qu'il n'est rien de plus rien de moins que l'une des personnalités
qui alternativement apparaissent dans la tête de Carter. Brian de
Palme explique ce trouble à travers les expériences que menait leur
père lorsque les deux frères étaient de jeunes enfants. Mais
d'ailleurs, Caïn est-il un être de chair ou de sang ou est-il
lui-même l'un des doubles de Carter ? D'emblée l'on retrouve
le compositeur italien Pino Donaggio, lequel est une fois de plus
chargé d'accompagner l’œuvre du maître du suspens.
Une
bande musicale si puissante accompagnée d'une mise en scène
exprimant si bien toute les formes que peuvent prendre les émotions,
Brian de Palma convainc dès le départ avec ces retrouvailles entre
deux personnages dont on ne connaît pourtant encore rien mais qui
nous touchent cependant instantanément. Également maître
incontesté de la rupture de ton, le réalisateur piège le
spectateur dans un étau où se rejoignent diverses émotions. Ici,
la séduction et l'effroi à travers un flash-back qui glace
littéralement les sangs. Une séquence, elle aussi, accompagnée de
violons glissant peu à peu pour nous saisir à la gorge comme le
font les images filmées à travers le moniteur d'une chambre
d’hôpital. Brian de Palma tourne toujours autour de représentation
s'affichant sous divers supports. Se reflétant sur les surfaces
prévues à cet effet ou non. L'esprit de Caïn
est inspiré. Un peu trop d'ailleurs si l'on compare la multitude de
concepts et la courte durée du long-métrage qui empêche le
réalisateur de pleinement développer chacune des idées qui
émaillent le récit. Dédoublement de la personnalité, adultère,
meurtres, enquête policière, séance d'hypnose.... l’œuvre est
dense, riche, mais quelques idées sont malheureusement trop
rapidement expédiées. Reste que Brian de Palma signe une œuvre
intéressante, certes loin des cannons du genre qu'il signa avant et
après (Phantom of the Paradise,
Obsession,
Blow Out
et Body Double
sont selon moi ses meilleurs films). Une œuvre ambiguë,
fantasmagorique, tortueuse, inquiétante et séduisante...
Acheté pour le voir par curiosité puis revendu dans la foulée, un De Palma mineur mais pas désagréable.
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