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jeudi 15 décembre 2022

Patrick Dewaere (Première partie)

 


 

Patrick Dewaere : 1947-1982

Les valseuses de Bertrand Blier (1974)

Né Patrick Bourdeaux, l'acteur français enchaîne les petits rôles à la télévision puis sur grand écran tout en faisant partie de la troupe du Café de la gare créée en outre par Romain Bouteuille, Coluche, Miou-Miou et Henry Guibet. Mais c'est en 1974 à travers le rôle de Pierrot dans le film culte de Bertrand Blier Les Valseuses qu'il devient célèbre auprès du grand public. Aux côtés de Gérard Depardieu qui lui-même y tient le rôle de Jean-Claude, Patrick Dewaere incarne un petit voyou de banlieue qui avec son camarade va faire les quatre-cent coups. Vols de voitures, kidnapping, abus sexuels, les deux hommes croisent la route de Marie-Ange, une shampouineuse incapable de ressentir le moindre plaisir lors de l'acte sexuel et qu'ils vont rencontrer au moment de rendre sa voiture au patron de la jeune femme après lui avoir ''empruntée'' ! Commence alors pour ces trois là une aventure rocambolesque qui les mènera jusque dans la campagne française. L'occasion de faire de nombreuses rencontres. Pierrot et Jean-Claude croiseront la route d'une jeune mère interprétée par Brigitte Fossey rejoignant son compagnon, soldat appelé, à bord d'un autorail, celle d'un médecin chirurgien incarné par Michel Peyrelon, un taulard fraîchement sorti de prison (Jacques Chailleux dans le rôle de Jacques Pirolle) ainsi que la mère de ce dernier, Jeanne (l'actrice Jeanne Moreau), qui après avoir fait l'amour avec les deux voyous se suicidera. L'occasion pour Bertrand Blier de virer à trois-cent soixante degrés après nous avoir gratifié d'une quantité phénoménale de situations plus provocantes les unes que les autres.
Car
Les valseuses est avant tout, un monument du cinéma français, instinctif, brutal et éminemment créatif dans son écriture. Des textes sortis tout droit de l'imaginaire de Bertrand Blier qui durant toute sa carrière n'aura eu de cesse que de provoquer des réactions parmi son public. Le film fera évidemment scandale auprès de la bourgeoisie tandis que la jeunesse post-soixante-huitarde y trouvera un véritable exutoire. Le réalisateur et scénariste y creuse un peu plus loin que les autres le fossé qui sépare les jeunes générations des plus anciennes lors de séquences particulièrement significatives. Jean-Claude évoque notamment cette certitude d'être bien en France lorsque le patron de Marie-Ange (qu'interprète Miou-Miou) se voit accordé l'aide de ses voisins de cité lors de l'affrontement avec les deux jeunes hommes. Ce qui distingue Jean-Claude de son comparse est son ascendant sur celui qui l'accompagne dans toutes ses conneries. Les valseuses est l'expression d'une époque sans doute révolue à jamais qui malgré quelques sinistres évocations (une France extrême droitisée, la marginalisation des deux héros, le suicide de Jeanne, le meurtre du gardien de prison) souffle un véritable vent d'air frais dans un contexte qui sur grand écran n'est aujourd'hui même plus envisageable. Bien qu'elle débuta sa carrière au cinéma, au théâtre et à la télévision au début des années soixante-dix, la toute jeune Isabelle Huppert est surtout connue pour être apparue ici sous les traits de l'adolescente Jacqueline, jeune vierge éprise d'émancipation qui quittera ses parents en compagnie de Jean-Claude, Pierrot et Marie-Ange. Plus culte que Les valseuses, tu meurs ! Des répliques cinglantes à foison rendant honneur aux admirables dialogues d'un certain Michel Audiard et surtout, un duo d'acteur masculin appelé à devenir aussi culte que le premier film qui les a réunis. Une œuvre accompagnée en outre par l'inoubliable partition du jazzman, pianiste et violoniste franco-italien Stéphane Grappelli...


Lily aime-moi de Maurice Dugowson (1975)

Un an après le film culte de Bertrand Blier, Patrick Dewaere accepte de participer à un projet cinématographique étrangement typique des années soixante-dix. Sans doute pas aussi barré que le Themroc de Claude Faraldo qu'il interpréta notamment aux côtés de ses anciens comparses du Café de la gare deux ans auparavant mais tout de même un Objet Filmique PRESQUE Non Identifié. Une comédie, pas vraiment drôle et ne suivant comme fil d’Ariane qu'un scénario qui semble avoir été victime du syndrome de la page blanche. Des dialogues jusqu'à l'interprétation en passant par la mise en scène, il semblerait que Maurice Dugowson (dont le fait d'arme le plus connu reste sans doute F... comme Fairbanks qu'il réalisa l'année suivante) ait laissé le hasard jouer sa carte maîtresse, d'où une forte impression d'improvisation. Une liberté de choix artistique qui de nos jours semblerait novatrice tout en procurant une certaine gène chez ceux que l'on a habitué à des œuvres ''pensées'' jusque dans les moindres recoins... Ils sont trois. À commencer par Rufus, auquel Maurice Dugowson offre un premier rôle mérité. Généralement cantonné à des personnages secondaires, l'acteur campe le personnage de Claude.
Un un individu passablement lunaire, ouvrier dans une usine, très ennuyeux, dépressif et que sa compagne Lily vient de quitter. C'est alors qu'il rencontre François, le journaliste auquel est confiée la mission d'interviewer Claude. Incarné par le peintre et sculpteur belge Jean-Michel Folon (qui sera en outre l'auteur de l'affiche du long-métrage), celui-ci, sous ses faux airs de Bernard Giraudeau à lunettes, va faire un petit bout de chemin avec lui, histoire de lui remonter le moral, de lui changer les idées. Lui, mais aussi Gaston, dit
Johnny Cask, boxeur professionnel aux nombreuses défaites et ouvrier lui aussi. Le joyeux luron de l'aventure dont la réplique préférée est : ''Vous êtes bien jolie mademoiselle''... Une phrase qu'il répète d'une invariable manière mais qui ne l'empêche pas de se prendre régulièrement des vents de la part de la gente féminine. On se souviendra à ce titre de la courte mais mémorable apparition de Miou-Miou dans un café, en pseudo-Marie-Ange (celle des Valseuses, vous l'aurez compris) émancipée depuis, et recadrant les hommes qui chercheraient à lui mettre le grappin dessus. Entre la banlieue parisienne et la campagne française, Lily aime-moi traîne ses trois héros à la recherche d'une solution pour Claude. Lui veut retrouver celle qu'il aime tandis que les deux autres font tout ce qu'ils peuvent pour le soutenir. Rufus en clown triste, Jean-Michel Félon en penseur contemplatif et au verbe modéré, Patrick Dewaere en amuseur de place publique. Un trio (d)étonnant pour une œuvre (faussement ?) maladroite mais humaniste. À leurs côtés, Miou-Miou, donc, mais également Zouzou dans le rôle de Lily, et beaucoup plus tard, Anne Jousset qui, trois ans avant de jouer aux côtés de Gérard Jugnot et Daniel Auteuil dans Les héros n'ont pas froid aux oreilles de Charles Némès incarne ici déjà une auto-stoppeuse...


F… comme Fairbanks de Maurice Dugowson (1976)

On continue sur la lancée avec ce qui s’avéra être la seconde collaboration entre le réalisateur Maurice Dugowson et Patrick Dewaere un an après Lily aime-moi. Cette fois-ci, l'acteur est véritablement l'élément central du récit et plutôt que d'accorder une place à ses anciens complices du café de la gare, le réalisateur embauche ceux d'une autre fameuse troupe, certainement plus populaire encore. Du moins une partie d'entre eux puisque de la troupe du Splendid, les connaisseurs remarqueront les présences à l'écran de Thierry Lhermitte (dans le rôle d'un chercheur d'emploi) et de Christian Clavier (dans celui d'un serveur de bar-restaurant)... Entre les deux longs-métrages de Maurice Dugowson, Patrick Dewaere n'a pas eu le temps de chômer. En deux années, il tourne avec Georges Lautner pour Pas de problème!, Michel Boisrond pour Catherine et Cie, Pierre Granier-Deferre pour Adieu Poulet, Claude Miller pour La meilleure façon de marcher et Marco Bellocchio pour La marche triomphale. Puis vient donc F… comme Fairbanks avec son personnage qui quatre ans avant celui du formidable Un mauvais fils de Claude Sautet retrouve lui-même son entourage après avoir fait un séjour en prison (celle de l'armée). Patrick Dewaere retrouve Miou-Miou pour la troisième fois, charmante, craquante (surtout lors de la promenade en barque sur un lac), en comédienne de théâtre. En ingénieur mutin an chômage, l'acteur tombe sous le charme de la prétendante au rôle d'Alice plus ou moins acoquinée avec un photographe et cabotine pour la séduire. On retrouve ce même type de personnage qu'il incarnait déjà l'année précédente dans Lily aime-moi.
La manière dont Maurice Dugowson aborde ici le sujet n'est d'ailleurs pas si éloignée de son précédent long-métrage même si cette fois-ci la maîtrise de son sujet semble indiscutable.
F… comme Fairbanks s'inscrit dans un contexte social compliqué pour André Fragman/Patrick Dewaere. Incapable de trouver un emploi dans sa branche malgré les hypothétiques promesses d'un Étienne Lambert/Michel Piccoli plutôt ambigu (lequel ne semble pas vraiment décidé à aider le jeune homme à se faire une place dans l'ingénierie) et pourtant ''diverti'' par sa passion naissante et partagée pour Marie (Miou-Miou), le grain de sable du chômage vient gripper l'existence du héros de manière quasi obsessionnelle. Employé d'une station-essence, ouvrier de chantier, bagagiste, André, désormais inscrit à l'ANPE est incapable de garder un emploi. Sa relation avec Marie s'en ressent très rapidement... Impeccable dans ce rôle, Patrick Dewaere montre déjà des prédispositions pour ce type de personnages habités par de sombres pensées. Face à lui, Miou-Miou est touchante. Le titre du film fait référence à l'acteur américain Douglas Fairbanks. Maurice Dugowson rend d'ailleurs un vibrant hommage au cinéma, surtout à celui en noir et blanc, du début du vingtième siècle. Avec ce père projectionniste (l'acteur et réalisateur américain John Berry). Capable d'être volubile tout en affichant une certaine noirceur liée à la condition du personnage qu'il interprète, Patrick Dewaere est absolument formidable. Le Franck Poupart du futur chef-d’œuvre d'Alain Corneau Série noire n'est donc pas très loin. Lumineux avant de sombrer dans la noirceur, F… comme Fairbanks est au regard de la filmographie de l'acteur parmi ses œuvres les moins connues. Un long-métrage beau, tragique et qui mérite amplement d'être redécouvert...

 

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