Patrick Dewaere : 1947-1982
Les valseuses de Bertrand Blier (1974)
Né Patrick Bourdeaux,
l'acteur français enchaîne les petits rôles à la télévision
puis sur grand écran tout en faisant partie de la troupe du Café
de la gare créée en outre par
Romain Bouteuille, Coluche, Miou-Miou et Henry Guibet. Mais c'est en
1974 à travers le rôle de Pierrot dans le film culte de Bertrand
Blier Les Valseuses
qu'il devient célèbre auprès du grand public. Aux côtés de
Gérard Depardieu qui lui-même y tient le rôle de Jean-Claude,
Patrick Dewaere incarne un petit voyou de banlieue qui avec son
camarade va faire les quatre-cent coups. Vols de voitures,
kidnapping, abus sexuels, les deux hommes croisent la route de
Marie-Ange, une shampouineuse incapable de ressentir le moindre
plaisir lors de l'acte sexuel et qu'ils vont rencontrer au moment de
rendre sa voiture au patron de la jeune femme après lui avoir
''empruntée'' ! Commence alors pour ces trois là une aventure
rocambolesque qui les mènera jusque dans la campagne française.
L'occasion de faire de nombreuses rencontres. Pierrot et Jean-Claude
croiseront la route d'une jeune mère interprétée par Brigitte
Fossey rejoignant son compagnon, soldat appelé, à bord d'un
autorail, celle d'un médecin chirurgien incarné par Michel
Peyrelon, un taulard fraîchement sorti de prison (Jacques Chailleux
dans le rôle de Jacques Pirolle) ainsi que la mère de ce dernier,
Jeanne (l'actrice Jeanne Moreau), qui après avoir fait l'amour avec
les deux voyous se suicidera. L'occasion pour Bertrand Blier de virer
à trois-cent soixante degrés après nous avoir gratifié d'une
quantité phénoménale de situations plus provocantes les unes que
les autres. Car Les valseuses
est avant tout, un monument du cinéma français, instinctif, brutal
et éminemment créatif dans son écriture. Des textes sortis tout
droit de l'imaginaire de Bertrand Blier qui durant toute sa carrière
n'aura eu de cesse que de provoquer des réactions parmi son public.
Le film fera évidemment scandale auprès de la bourgeoisie tandis
que la jeunesse post-soixante-huitarde y trouvera un véritable
exutoire. Le réalisateur et scénariste y creuse un peu plus loin
que les autres le fossé qui sépare les jeunes générations des
plus anciennes lors de séquences particulièrement significatives.
Jean-Claude évoque notamment cette certitude d'être bien en France
lorsque le patron de Marie-Ange (qu'interprète Miou-Miou) se voit
accordé l'aide de ses voisins de cité lors de l'affrontement avec
les deux jeunes hommes. Ce qui distingue Jean-Claude de son comparse
est son ascendant sur celui qui l'accompagne dans toutes ses
conneries. Les valseuses
est l'expression d'une époque sans doute révolue à jamais qui
malgré quelques sinistres évocations (une France extrême
droitisée, la marginalisation des deux héros, le suicide de Jeanne,
le meurtre du gardien de prison) souffle un véritable vent d'air
frais dans un contexte qui sur grand écran n'est aujourd'hui même
plus envisageable. Bien qu'elle débuta sa carrière au cinéma, au
théâtre et à la télévision au début des années soixante-dix,
la toute jeune Isabelle Huppert est surtout connue pour être apparue
ici sous les traits de l'adolescente Jacqueline, jeune vierge éprise
d'émancipation qui quittera ses parents en compagnie de Jean-Claude,
Pierrot et Marie-Ange. Plus culte que Les
valseuses,
tu meurs ! Des répliques cinglantes à foison rendant honneur
aux admirables dialogues d'un certain Michel Audiard et surtout, un
duo d'acteur masculin appelé à devenir aussi culte que le premier
film qui les a réunis. Une œuvre accompagnée en outre par
l'inoubliable partition du jazzman, pianiste et violoniste
franco-italien Stéphane Grappelli...
Lily aime-moi de Maurice Dugowson (1975)
Un
an après le film culte de Bertrand Blier, Patrick Dewaere
accepte de participer à un projet cinématographique étrangement
typique des années soixante-dix. Sans doute pas aussi barré que le
Themroc
de Claude Faraldo qu'il interpréta notamment aux côtés de ses
anciens comparses du Café
de la gare
deux ans auparavant mais tout de même un Objet Filmique PRESQUE Non
Identifié. Une comédie, pas vraiment drôle et ne suivant comme fil
d’Ariane qu'un scénario qui semble avoir été victime du syndrome
de la page blanche. Des dialogues jusqu'à l'interprétation en
passant par la mise en scène, il semblerait que Maurice Dugowson
(dont le fait d'arme le plus connu reste sans doute F...
comme Fairbanks
qu'il réalisa l'année suivante) ait laissé le hasard jouer sa
carte maîtresse, d'où une forte impression d'improvisation. Une
liberté de choix artistique qui de nos jours semblerait novatrice
tout en procurant une certaine gène chez ceux que l'on a habitué à
des œuvres ''pensées'' jusque dans les moindres recoins... Ils sont
trois. À commencer par Rufus, auquel Maurice Dugowson offre un
premier rôle mérité. Généralement cantonné à des personnages
secondaires, l'acteur campe le personnage de Claude. Un un individu
passablement lunaire, ouvrier dans une usine, très ennuyeux,
dépressif et que sa compagne Lily vient de quitter. C'est alors
qu'il rencontre François, le journaliste auquel est confiée la
mission d'interviewer Claude. Incarné par le peintre et sculpteur
belge Jean-Michel Folon (qui sera en outre l'auteur de l'affiche du
long-métrage), celui-ci, sous ses faux airs de Bernard Giraudeau à
lunettes, va faire un petit bout de chemin avec lui, histoire de lui
remonter le moral, de lui changer les idées. Lui, mais aussi Gaston,
dit Johnny Cask,
boxeur professionnel aux nombreuses défaites et ouvrier lui aussi.
Le joyeux luron de l'aventure dont la réplique préférée est :
''Vous êtes bien
jolie mademoiselle''...
Une phrase qu'il répète d'une invariable manière mais qui ne
l'empêche pas de se prendre régulièrement des vents de la part de
la gente féminine. On se souviendra à ce titre de la courte mais
mémorable apparition de Miou-Miou dans un café, en
pseudo-Marie-Ange (celle des Valseuses,
vous l'aurez compris) émancipée depuis, et recadrant les hommes qui
chercheraient à lui mettre le grappin dessus. Entre la banlieue
parisienne et la campagne française, Lily
aime-moi traîne
ses trois héros à la recherche d'une solution pour Claude. Lui veut
retrouver celle qu'il aime tandis que les deux autres font tout ce
qu'ils peuvent pour le soutenir. Rufus en clown triste, Jean-Michel
Félon en penseur contemplatif et au verbe modéré, Patrick Dewaere
en amuseur de place publique. Un trio (d)étonnant pour une œuvre
(faussement ?) maladroite mais humaniste. À leurs côtés,
Miou-Miou, donc, mais également Zouzou dans le rôle de Lily, et
beaucoup plus tard, Anne Jousset qui, trois ans avant de jouer aux
côtés de Gérard Jugnot et Daniel Auteuil dans Les
héros n'ont pas froid aux oreilles
de Charles Némès incarne ici déjà une auto-stoppeuse...
F… comme Fairbanks de Maurice Dugowson (1976)
On
continue sur la lancée avec ce qui s’avéra être la seconde
collaboration entre le réalisateur Maurice Dugowson et Patrick
Dewaere un an après Lily aime-moi.
Cette fois-ci, l'acteur est véritablement l'élément central du
récit et plutôt que d'accorder une place à ses anciens complices
du café de la
gare,
le réalisateur embauche ceux d'une autre fameuse troupe,
certainement plus populaire encore. Du moins une partie d'entre eux
puisque de la troupe
du Splendid,
les connaisseurs remarqueront les présences à l'écran de Thierry
Lhermitte (dans le rôle d'un chercheur d'emploi) et de Christian
Clavier (dans celui d'un serveur de bar-restaurant)... Entre les deux
longs-métrages de Maurice Dugowson, Patrick Dewaere n'a pas eu le
temps de chômer. En deux années, il tourne avec Georges Lautner
pour Pas de problème!,
Michel Boisrond pour Catherine et Cie,
Pierre Granier-Deferre pour Adieu Poulet,
Claude Miller pour La meilleure façon de marcher
et Marco Bellocchio pour La marche triomphale.
Puis vient donc F… comme Fairbanks avec
son personnage qui quatre ans avant celui du formidable Un
mauvais fils
de Claude Sautet retrouve lui-même son entourage après avoir fait
un séjour en prison (celle de l'armée). Patrick Dewaere retrouve
Miou-Miou pour la troisième fois, charmante, craquante (surtout lors
de la promenade en barque sur un lac), en comédienne de théâtre.
En ingénieur mutin an chômage, l'acteur tombe sous le charme de la
prétendante au rôle d'Alice plus ou moins acoquinée avec un
photographe et cabotine pour la séduire. On retrouve ce même type
de personnage qu'il incarnait déjà l'année précédente dans Lily
aime-moi. La
manière dont Maurice Dugowson aborde ici le sujet n'est d'ailleurs
pas si éloignée de son précédent long-métrage même si cette
fois-ci la maîtrise de son sujet semble indiscutable. F…
comme Fairbanks
s'inscrit dans un contexte social compliqué pour André
Fragman/Patrick Dewaere. Incapable de trouver un emploi dans sa
branche malgré les hypothétiques promesses d'un Étienne
Lambert/Michel Piccoli plutôt ambigu (lequel ne semble pas vraiment
décidé à aider le jeune homme à se faire une place dans
l'ingénierie) et pourtant ''diverti'' par sa passion naissante et
partagée pour Marie (Miou-Miou), le grain de sable du chômage vient
gripper l'existence du héros de manière quasi obsessionnelle.
Employé d'une station-essence, ouvrier de chantier, bagagiste,
André, désormais inscrit à l'ANPE
est incapable de garder un emploi. Sa relation avec Marie s'en
ressent très rapidement... Impeccable dans ce rôle, Patrick Dewaere
montre déjà des prédispositions pour ce type de personnages
habités par de sombres pensées. Face à lui, Miou-Miou est
touchante. Le titre du film fait référence à l'acteur américain
Douglas Fairbanks. Maurice Dugowson rend d'ailleurs un vibrant
hommage au cinéma, surtout à celui en noir et blanc, du début du
vingtième siècle. Avec ce père projectionniste (l'acteur et
réalisateur américain John Berry). Capable d'être volubile tout en
affichant une certaine noirceur liée à la condition du personnage
qu'il interprète, Patrick Dewaere est absolument formidable. Le
Franck Poupart du futur chef-d’œuvre d'Alain Corneau Série
noire
n'est donc pas très loin. Lumineux avant de sombrer dans la
noirceur, F… comme Fairbanks
est au regard de la filmographie de l'acteur parmi ses œuvres les
moins connues. Un long-métrage beau, tragique et qui mérite amplement d'être
redécouvert...
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