Second long-métrage du
réalisateur sud-coréen Bong Joon Ho après Flandersui Gae en
2000 et bien avant Okja
en 2017 ou Parasite
en 2019, Memories of Murder
(Salinui Chueok)
est peut-être l'un des plus grands thrillers à avoir vu le jour
jusqu'à maintenant en Corée du Sud. L'un de ces films monumentaux
dont les réalisateurs de ce pays divisé en deux depuis 1945
semblent être les seuls à détenir les secrets. Pour commencer,
Memories of Murder
n'est pas seulement un pur produit du genre puisque Bong Joon Ho y
injecte comme souvent chez ses semblables une bonne dose d'humour qui
dans le cas présent n'est pas pour déplaire vu le contexte
particulièrement tendu de l'affaire à laquelle vont être
confrontés les principaux protagonistes. En effet, au centre du
récit se situe une poignée d'hommes chargés d'enquêter sur une
série de viols suivis de meurtres. De jeunes femmes sont
effectivement retrouvées mortes dans des champs avoisinant une
petite ville de campagne. Une approche particulière, surtout lorsque
l'on sait que le récit est basé sur un fait-divers authentique
ayant eu lieu dans le milieu des années quatre-vingt en Corée du
sud. Une affaire complexe et irrésolue qui sert donc de terreau à
un thriller ponctué de séquences drôles au seins desquelles
cabotinent, se confrontent et s'engueulent en outre les acteurs Kim
Sang-kyung et Song Kang-ho. Ce dernier demeure sans doute l'un des
plus célèbres interprètes sud-coréens de sa génération avec
lequel Bong Joon Ho a tourné à diverses reprises et que l'on a pu
également découvrir chez l'un des autres grands cinéastes du
cinéma sud-coréen, Park Chan-Wook. Dans la grande tradition du
cinéma policier, Memories of Murder
impose un duo de flics que tout ou presque oppose. Le réalisateur
ainsi que ses scénaristes Kwang-rim Kim et Sung-bo Shim poussant le
contraste à l'extrême en introduisant un flic venant tout droit de
la capitale coréenne et l'opposant à une brigade installée à la
campagne. Mais comme si cela ne suffisait pas, non seulement le
détective Seo Tae-yoon se montre d'une rigueur exemplaire dans le
traitement de l'affaire mais le scénario le confronte en outre à un
détective Park Doo-man qui de son côté est tout d'abord prêt à
faire quelques entorses afin de confondre un pauvre idiot pourtant
innocent qui sera fort heureusement écarté de l'affaire :
fausses empruntes correspondant à l'individu en question et
interrogatoire volontairement dirigé sur des détails qui lui seront
révélés trouveront en la personne du détective
Seo
Tae-yoon, la force de rediriger les investigations dans le bon
sens...
Évoluant
sur trois décennies, le récit sert d'autres causes que le simple
fait-divers puisque l'évolution même des campagnes sud-coréennes
se trouve en ligne de mire de l'intrigue. On évoque à ce sujet
l'évolution des mœurs et l'empreinte qu'aura notamment laissé
derrière lui le flic originaire de Séoul sur la manière d'enquêter
de ses nouveaux collègues. Davantage de psychologie et sans doute
moins d'actes de violence envers des suspects qui se révéleront au
final innocents. Se pose également la question des progrès
scientifiques dans le domaine de la recherche de preuves où dans le
cas invoqué, la Corée du Sud n'était pas encore pourvue des
techniques de prélèvements d'ADN. Accompagné par la sublime
partition musicale du compositeur japonais Tarô Iwashiro, Memories
of Murder
laisse cette même marque indélébile dans la conscience du
spectateur que dans celle des inspecteurs chargés d'enquêter sur la
série de viols et de meurtres. Ce fort sentiment de désespoir lié
à leur incapacité de mettre un nom ou un visage sur le responsable.
Bong Joon Ho en tire une œuvre certes parfois drôle (on pense
notamment au sens aiguisé du détective Park Doo-man qui d'un seul
regard est capable d'identifier un suspect potentiel alors que le
réalisateur se moque du caractère ''omniscient'' d'une telle
pratique lors de la séquence se situant dans une carrière) mais
aussi profondément tragique. Cet aspect du long-métrage montre bien
le caractère parfois psychologiquement destructeur du métier
d'hommes et de femmes parfois contraints de travailler durant des
décennies sur une seule et même affaire criminelle. À ce titre,
Memories of Murder
par sa grande richesse émotionnelle, renforcé par une mise en scène
sobre mais efficace mais aussi et surtout par un tandem absolument
convaincant est une très grande réussite. Impossible, donc, de
rester de marbre devant cette œuvre aussi humaine qu’empreinte de
désespoir. Un authentique chef-d’œuvre...
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