Aborder You Won't
Be Alone,
le premier long-métrage du réalisateur d'origine australienne Goran
Stolevski, n'est pas chose aisée. Ce qui par contre apparaît comme
une évidence, c'est que l'expérience sera particulièrement
enrichissante. La seule présence de l'actrice suédoise Noomi Rapace
suffisant à convaincre n'importe quel réfractaire que l'aventure
vaut sans doute le détour. Habituée à faire des choix souvent
judicieux, la voici parcourant les terres austères et montagneuses
de la Macédoine du dix-neuvième siècle. C'est là qu'interviendra
plus tard la star mondiale. Mais avant elle, la macédonienne Sara
Klimoska aura eu le temps d’envoûter les images, le récit, ainsi
que les spectateurs. Âgée de vingt-huit ans au moment du tournage,
elle en paraît presque dix ou quinze de moins. Sauvée par sa
génitrice des griffes d'une sorcière venue prendre possession de
son butin à sa naissance, Nevena n'a jusqu'à maintenant connu du
monde que les murs de l'immense grotte à l'intérieur de laquelle
elle est cachée depuis seize années. Mais alors qu'il y a très
longtemps sa mère avait promis à la sorcière d'offrir sa fille
contre autant d'années à pouvoir l'élever, le jour fatidique où
cette vieille femme au visage brûlé devait réapparaître est
maintenant venu. You Won't Be Alone
tient presque du miracle tant la fragilité du projet tient dans son
approche que d'aucun considérera peut-être d'hermétique. Il faut
dire que Goran Stolevski ne nous facilite pas la tâche en exploitant
une idée au départ séduisante sous un angle poético-allégorique
qu'il faudra faire l'effort d'intégrer dans les premiers instants si
l'on ne veut pas être ensuite irrémédiablement perdus. Prenant son
temps, ne brusquant jamais ses personnages, l'australien entreprend
un curieux voyage initiatique touchant de prêt la jeune héroïne
qui va se voir affublée de facultés aussi étranges
qu'inquiétantes. En effet, et c'est peut-être là le seul élément
qui manque à la pleine compréhension de ce qui se trame derrière
les origines de cette créature aussi curieuse que sauvage. S'il
demeure parfois difficile d'évaluer ce qui se cache réellement
derrière cette gamine que l'on sait muette mais qui aux yeux de ceux
qu'elle va côtoyer apparaîtra demeurée, la lecture des propos
qu'elle tient en voix-off deviennent, au fil du temps, étonnamment
limpides. Au point que l'imagerie dont elle est pourvue pour décrire
ce qui pour elle est encore du domaine de l'inconnu sera pour le
spectateur l'occasion d'entendre ''chanter'' des lignes de dialogues
parfois très poétiques...
Imaginez
The Hidden
de Jack Sholder, sans musique tonitruante, sans les artères
bruyantes de Los Angeles, sans armes ni violence volontaire, tourné
en Macédoine, dans des champs de blé, au rythme des moissons. Ceci
est très vaguement ce à quoi pourrait éventuellement faire penser
You Won't Be Alone.
Sauf que le film ne se résume pas à cela et qu'au-delà des
immenses qualités du film qui quarante-cinq auparavant remporta le
grand prix au Festival d'Avoriaz, celui de Goran Stolevski est d'une
très grande profondeur et semble d'abord porter son sujet sur
l'initiation de la jeune Nevena. Son apprentissage de la vie. Auprès
des femmes, mais aussi des hommes. Avec sa maladresse mais un profond
besoin de savoir, de connaître la nature humaine. Tout ce que
rejette finalement celle qui l'a initiée au goût du sang. Cette
vieille sorcière au faciès horriblement brûlé, pendant féminin
du célèbre Freddy Krugger... Le réalisateur australien nous plonge
dans une ère et une ambiance que n'aurait sans doute pas renié le
français Daniel Vigne qui en 1982 signait le chef-d'oeuvre Le
retour de Martin Guerre
avec Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Maurice Barrier ou encore
Bernard-Pierre Donnadieu... Même austérité, même contrôle de
l'homme sur la femme même si dans le cas de You
Won't Be Alone,
le curseur de la virilité, de la misogynie et du machisme semble
être poussé dans ses derniers retranchements. Il n'y a pas
véritablement de héros ou de personnage principal puisque le
concept du long-métrage de Goran Stolevski veut qu'une vedette en
chasse une autre. On passe donc de Sara Klimoska à Carloto Cotta en
passant, bien sûr, par Noomi Rapace. Et comme dans le classique de
Jack Sholder dans lequel on identifiait l'hôte d'un simple tic de
langue, ici, chaque incarnation revêt la fragilité intellectuelle
de ceux qui sont affligés par la présence en leur sein de la bête !
Au sens propre comme au figuré, You Won't Be
Alone est
une œuvre absolument remarquable qui bouscule les conventions des
genres horrifique et fantastique (ce qu'il n'est d'ailleurs que dans
de raisonnables proportions). Se dégage alors une ambiance paysanne,
mystérieuse et presque ésotérique appuyée par la très belle
partition musicale signée de Mark Bradshaw. Un conseil, ne passez
surtout pas à côté, vous le regretteriez amèrement...
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