C'est en lançant une
recherche sur le Porcherie
de Pier Paolo Pasolini que je suis tombé tout à fait par hasard sur
le Tras el Cristal
de l'espagnol Agustí Villaronga. Un réalisateur qui jusque là
m'était parfaitement étranger et dont aucun des longs-métrages
qu'il a tourné depuis ses débuts au cinéma en 1987 ne m'était
connu. Si d'un point de vue scénaristique le film de l'espagnol et
celui de l'italien ne semblent pas entretenir le moindre rapport, on
peut en revanche comprendre que l'algorithme du plus célèbre des
moteurs de recherche sur Internet ai pu donner un tel résultat.
Tras el Cristal
est un voyage étrange, maladif, dérangeant et psychologiquement
éprouvant. Le genre de long-métrage que l'on s'interdirait à
mettre devant le regard d'une jeune progéniture que l'on voudrait
initier au septième art. Non pas que l’œuvre d'Agustí Villaronga
n'en vaille pas la peine, bien au contraire, mais son approche est
telle qu'elle risquerait de marquer profondément celui ou celle qui
s'attaquerait au récit de cet étrange duo que forment Klaus et
Ángelo. Dans la grande Œuvre du cinéma qui génère le plus
d'inconfort, on cite souvent le Salò ou les 120
Journées de Sodome de
Pier Paolo Pasolini qui sur l'échelle du ''repoussoir'' sert très
souvent de référence. L'horreur humaine dans toute sa laideur mais
qui paraît parfois être démesurément décrite comme
insupportable. Chacun y trouvera matière à commenter mais votre
serviteur aura surtout retenu du projet, ce voyeurisme insoutenable
des derniers instants plus que ses débordements scatologiques !
Des expériences cinématographiques qui bouleversent notre
conception du mal-être, il en existe sans doute des dizaines,
peut-être même plus encore, mais tout dépend là encore de la
sensibilité de chacun. Il se rappelle à moi ce souvenir très
lointain d'un passage à la télévision de La
petite sirène
de Roger Andrieux avec Philippe Léotard. Une expérience assez
particulière sur un amour interdit qui avait laissé chez moi des
traces qui résonnent encore aujourd'hui. Et que dire de
Schizophrénia de
Gerald Kargl et son témoignage glaçant d'un tueur schizophrène
s'en prenant au trois membres d'une famille ? Ou de The
Girl Next Door
de Gregory M. Wilson, adaptation d'un roman de Jack Ketchum lui-même
inspiré d'un authentique fait-divers, et dont les images ne
cessèrent de me hanter qu'après de longs, très longs mois ?
Pourtant,
réunis ensembles, tous ces exemples apparaissent bien futiles en
comparaison de Tras el Cristal.
Moins connu que les autres et dégageant pourtant une noirceur
exceptionnelle, le film du réalisateur espagnol mériterait d'être
plus largement évoqué, même trente-cinq ans après sa création.
Si Gregg Araki choisira plus tard la suggestion dans son terrible et
étrange Mysterious Skin,
le sujet de la pédophilie est à prendre avec des pincettes si l'on
ne veut pas qu'une œuvre subisse un traitement que seuls quelques
longs-métrages semblent connaître (pour quelle autre raison que
l'histoire d'amour entre une gamine de quatorze ans et un homme de
quarante nous empêche-t-on de redécouvrir le film de Roger
Andrieux, devenu invisible à la télévision et indisponible en DVD
ou Blu-Ray?). D'emblée, Agustí Villaronga nous plonge en apnée
dans un récit au cœur duquel interviennent un médecin nazi et
l'une de ses jeunes victimes, un garçon nu, suspendu à une corde
par les poignets et dont les marques sur le corps témoignent des
atrocités que lui a fait subir son bourreaux. L'image est ici aussi
poisseuse que celle de l'inconfortable La Semana
del Asesino (vulgairement
traduit à l'internationale sous le titre Cannibal
Man)
de Eloy de la Iglesia qui vit le jour en 1972. L'horreur des actes
perpétrés par Klaus est telle qu'un instant, l'homme semble en
prendre conscience et se jette dans le vide pour mettre un terme à
sa propre existence. Malheureusement pour lui, Klaus ne meurt pas et
nous le retrouvons huit ans plus tard, paraplégique et enfermé dans
un caisson à oxygène qui le maintient en vie. Vivant avec son
épouse Griselda (l'actrice Marisa Paredes) et leur fille Rena
(Gisèle Echevarria) dans une luxueuse demeure, la petite famille va
bientôt recevoir la visite d'Angelo. Un jeune homme qui se prétend
infirmier et qui propose à l'ancien nazi de s'occuper de lui malgré
le rejet immédiat de Griselda. Klaus accepte et le jeune garçon se
lie d'amitié pour Rena. Mais alors que la maîtresse de maison
découvre bientôt qu'Angelo a menti sur ses capacités à soigner
son mari, les véritables intentions du faux infirmier se dessinent
peu à peu...
Tras
el Cristal a
ceci de fascinant qu'il décrit une sorte de symbiose entre Klaus et
Angelo. Le premier compte sur les soins essentiels que lui prodigue
le second tandis que le jeune garçon s'abreuve de l'expérience
passée de l'ancien médecin du troisième Reich décrite dans son
journal intime. De très loin, le film évoque le contenu de la
nouvelle de Stephen King Apt
Pupil
et son adaptation au cinéma réalisée par Bryan Singer en 1998 dans
lesquels un adolescent découvrait que son voisin était un ancien
soldat de l'armée allemande durant la seconde guerre mondiale et le
faisait chanter en le contraignant à évoquer son passé de nazi. Le
long-métrage de l'espagnol évoque même durant un temps ces cas
relativement curieux connus sous le nom de Syndrome
de Stockholm
et qui voient certaines victimes de kidnappeurs sympathiser avec ces
derniers. Mais ce qui s'apparente à cette étrange caractéristique
n'est qu'un leurre et Angelo se montrera nettement plus pervers que
la simple victime qu'il fut lorsque Klaus lui fit subir
d'indescriptibles outrages. Quoique... le sont-il réellement,
indescriptible ? Car l'une des forces de Tras
el Cristal
est de ne jamais vouloir brosser son public dans le sens du poil et
lorsque Agustí Villaronga a quelque chose à dire, il le montre à
l'écran. Et pourtant, ces actes mimés, reproduisant les horreurs
passées, victime et bourreau échangeant les rôles, s'inscrivent
moins à l'image comme autant de témoignages bouleversants que cette
ambiance terriblement pesante qui règne en général. Écrasé par
une lumière bleutée persistante et par la partition musicale
absolument glaçante signée de Javier Navarrete, Tras
el Cristal
offre quelques séquences terrifiantes qui ne font pourtant appel
qu'au génie de la mise en scène et de l'interprétation. Comment
résister à ce simulacre d'acte d'amour entre Klaus et Angelo
lorsqu'une fois le caisson à oxygène ouvert, le jeune homme
s'allonge sur le paraplégique à l'agonie ? Surtout, le film
témoigne du mal qui imprègne désormais celui qui fut victime et
qui aujourd'hui est le bourreau. Mais Tras
el Cristal
ne fait pas que désigner Angelo comme symbole du désir de vengeance
mais comme l'image de l'enfance bafouée au point d'avoir généré
en grandissant, un individu dont la valeur morale a choisi de prendre
des chemins sinueux. Le long-métrage d'Agustí Villaronga est
cauchemardesque, étouffant, inconfortable, rejoignant parfois le
cinéma du réalisateur italien Dario Argento (le meurtre de
Griselda, le choix de certains éclairages). Une expérience extrême
qui n'accorde aucun répit au spectateur...
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