Article un peu
particulier aujourd'hui puisqu'il ne s'agira pas d'évoquer un, ni
deux, mais trois longs-métrages dont la thématique est par contre
commune à tous : la lycanthropie. Et je vous promets un voyage
à travers le temps et la planète puisque nous allons tout d'abord
faire un tour par le Royaume-Unis, en 1961, avec The Curse of
the Werewolf de Terence Fisher. Puis, direction le Brésil et
la Norvège avec As Boas Maneiras de Juliana Rojas et
Marco Dutra ainsi que Skyggenes Dal de Jonas Matzow
Gulbrandsen qui tout deux ont été réalisés en 2017. Aujourd'hui,
nous sommes le 14 juin et ce soir, c'est pleine Lune. Alors, avant
toute chose, armez vous de balles et de poignards en argent, d'un peu
d'eau bénite et empruntez à votre grand-mère un crucifix si à
tout hasard elle en possède un accroché au dessus de son lit... On
débute donc avec The Curse of the Werewolf de Terence
Fisher qui de mémoire, semble être le seul long-métrage de la
célèbre Hammer Films mettant en scène l'une de ces fameuses
créatures atteintes de lycanthropie, du grec ''lúkos''
qui signifie Loup et ''ánthrôpos''
qui désigne l'homme. Si le film est d'origine britannique, son
action se déroule par contre sur le territoire espagnol, au
dix-septième siècle, dans un petit village au dessus duquel règne
sans partage l'impitoyable Marquis Siniestro (l'acteur originaire
d’Édimbourg, Anthony Dawson). C'est là qu'arrive un jour un
mendiant (Richard Wordsworth) qui s'étonne de n'y voir personne
déambuler sur la place principale. Et pour cause, les villageois
n'ont pas le cœur à faire la fête puisque les voici désormais
sans le sou. À leur charge d'avoir payé les festivités, le mariage
et le victuaille du Marquis, ils conseillent au mendiant d'aller
faire l’aumône auprès du tyran ! Frappant à la porte de
celui qu'il croit être son futur bienfaiteur, le mendiant est
humilié puis jeté au cachot. Rejoint des années plus tard par une
servante muette qui repoussait les avances du Marquis, le pauvre ère
rendu fou par l'isolement viole la jeune femme qui parviendra à
prendre la fuite, errera dans la forêt durant des mois, sera sauvée
de la mort par un saint protecteur (Clifford Evans dans le rôle de
don Alfredo Carido) et donnera naissance à un fils. Le fruit de
l'outrage dont fut victime la servante qui, comble de
l'horreur, mourra en donnant la vie... C'est ainsi donc que débute
le récit, sous la forme d'un préambule romanesque que n'aurait sans
doute pas renié le réalisateur français Bernard Borderie qui trois
ans plus tard allait donner naissance au classique Angélique,
marquise des anges...
Terence Fisher, dont la réputation n'est plus à faire puisqu'il fut
l'un des réalisateurs les plus importants de la Hammer
Films
avec plusieurs chefs-d’œuvre à son actif (tels, Le
cauchemar de Dracula,
Dracula - Prince des ténèbres,
Frankenstein s'est échappé,
Le chien des Baskerville
ou encore Le fantôme de l'opéra),
ouvre le bal avec cynisme en invoquant une bourgeoisie désinvolte,
voire méprisante envers les petites gens...
The Curse of the
Werewolf
est intéressant à plus d'un titre. Tout d'abord parce que sa
créature est incarnée par un Oliver Reed qui n'a véritablement
démarré sa carrière d'acteur que très récemment à cette époque
puisque longtemps il demeura dans l'ombre de ses personnages sans
être crédité au générique. Ensuite, le récit conforte l'idée
selon laquelle la lycanthropie trouve sa source dans l'hérédité et
l'héritage émotionnel laissé par les géniteurs du dit loup-garou.
L'on apprend en outre de la part d'un ecclésiastique les origines du
phénomène de Rigor
Mortis
qui intervient chez les morts et qui expliquerait en partie pourquoi
le jeune Leon est atteint de cette tare. Une idée qui peut paraître
absolument farfelue mais qui d'un point de vue théologique s'avère
particulièrement intéressante. Et puis, il y a ces décors et cette
ambiance qui n'appartiennent qu'à cette époque et qui se
renouvelaient sans cesse dès lors qu'une œuvre était marquée du
sceau ''Hammer
Film Productions''...
Les visages se dessinent, marbrés, creusés par la hantise, la
peur, la bestialité ou la barbarie. Lors de sa première sortie sur
grand écran en Angleterre, le film est proposé en double programme
aux côtés de The Shadow of the Cat,
autre production Hammer
cette fois-ci réalisée par un autre grand nom du cinéma
d'épouvante et fantastique de l'époque, John Gilling.
The Curse of the Werewolf
est alors victime de la censure et tandis que trois décennies plus
tard, en octobre 1992, la version intégrale devait enfin être
diffusée lors d'une soirée intitulée ''Vault
of horror''
sur la chaîne BBC2,
les programmateurs se sont emmêlés les pinceaux et c'est la version
expurgée qui fut projetée ! Comme de coutume, la musique est
très présente. Envahissante pourront même lui reprocher certains
d'entre nous. Afin de n'avoir pas à dépenser d'argent plus que
nécessaire dans la construction de décors, le film qui à l'origine
devait situer son action à Paris verra finalement le tournage se
déployer en Espagne. Si visuellement, le film n'a rien à envier à
ce qu'a majoritairement produit la Hammer
jusque là et après cela,
les spectateurs ne furent sans doute pas conquis au même titre que
les Dracula et autres Frankenstein par cette étrange créature velue
se nourrissant de brebis puisque le film ne rencontra pas un grand
succès. Il faut dire que le mythe n'est sans doute pas encore rentré
dans les mœurs des amateurs de cinéma fantastique britanniques
puisque la lycanthropie semble à l'époque être un apanage sur
lequel les États-Unis règnent en maîtres ! Il n'empêche que
parmi les films mettant en scène des loups-garous, historiquement,
The Curse of the Werewolf
demeure le second long-métrage le plus important du genre après
I Was a Teenage Werewolf
qui lui, fut projeté pour la première fois sur les écrans de
cinéma quatre ans auparavant en 1957. The Curse
of the Werewolf
propose un vrai bon scénario conçu par Anthony Hinds et inspiré
par la nouvelle écrite par Guy Endore, The Werewolf of Paris. Un
script découpé en plusieurs partie qui nous font voir du pays et
rencontrer de nouveaux personnages au fil du récit. Bref, que du
bon. De superbes décors, des costumes qui ne le sont pas moins, une
musique tantôt guillerette, tantôt cacophonique et un Oliver Reed
déjà hyper charismatique...
Autre
temps, autre lieu pour un changement radical d’atmosphère. Et
pourtant, si l'on y regarde bien, le précédent long-métrage et As
Boas Maneiras
de Juliana Rojas et Marco Dutra entretiennent de troublants rapports.
Nous quittons l'Espagne du dix-septième siècle pour le Brésil
contemporain. Tout comme The Curse of the
Werewolf,
celui-ci se divise en actes qui par contre ne sont cette fois-ci
qu'au nombre de deux. Chacun y verra son intérêt, les uns préférant
la première partie pourtant beaucoup moins fantasmagorique dans
l'esprit que la seconde. Car si certains détails remarquables
laissent tout d'abord présager d'une œuvre fantastique et
horrifique, le sujet de la lycanthropie est surtout développé lors
du second acte. Pour commencer, nous faisons la connaissance d'Ana et
Clara. La première attend un bébé et la seconde postule pour un
emploi d'aide-ménagère et de future nounou. Incarnées par les
brillantes Isabél Zuaa et Marjorie Estiano, les deux jeunes femmes
vont lier une amitié qui dépassera la simple entente cordiale. Le
duo de réalisateur ajoute au mystère qui entoure la future maman et
celle qui désormais l'accompagne dans son quotidien, une relation
homosexuelle qui donnera lieu à quelques séquences relativement
chaudes. Pourtant, il ne demeure dans cette imagerie d'une relation
intime homosexuelle, aucune connotation LGBT.
La nature des rapports entre les deux femmes semble naturellement
découler d'une attirance réciproque parfaitement légitime et n'y
transparaît aucun message de propagande. La première incarne une
Clara remarquable, austère, peu souriante, dans le besoin
(financier) et qui malgré son caractère froid va très vite se
révéler indispensable pour Ana, cette jeune et jolie femme,
élégante, voire sexy, le ventre rond, mais qui laisse cependant
transparaître une certaine superficialité qui causa peut-être, qui
sait, quelques drames par le passé (on pense notamment à cette
séquence située dans une boutique lors de laquelle une ancienne
connaissance d'Ana feint de l'ignorer). Si l'on pouvait craindre que
As Boas Maneiras
ne ressemble à rien de plus qu'à l'une de ces célèbres
Telenovelas
dont le public brésilien est friand (ce que le film paraît
d'ailleurs être à certaines occasions), on est parfois bluffés par
le visuel de certaines séquences nocturnes qui n'ont pas à rougir
face à la beauté des univers décrits par le réalisateur
Hongkongais Wong Kar-Wai ou par ceux du franco-vietnamien Trần Anh
Hùng...
Juliana
Rojas et Marco Dutra cultivent une certaine fascination pour le duo
d'interprètes féminines et parviennent sans mal à la transmettre
au spectateur. Au beau milieu du long-métrage et de son aspect cent
pour cent féminin, les deux réalisateurs brésiliens rompent avec
la relation entre les deux femmes lors d'une séquence véritablement
''déchirante'' et passent à la vitesse supérieure en invoquant la
présence de l'enfant qui désormais est ''sorti du ventre'' de sa
mère. Tout ou presque dans ces mots est ici à prendre au sens
propre et les guillemets ne sont pas là par hasard. En effet, si
jusqu'à maintenant le sang n'apparaissait que chichement, la
transition va se dérouler dans la douleur et le sang. Naît alors
une relation entre Clara et Joel (le jeune acteur Miguel Lobo), fils
désormais orphelin d'Ana qui au fil des années va se découvrir une
malédiction puisque le loup qui sommeil en lui depuis sa naissance
va bientôt se réveiller. L'évocation d'une relation plus ou moins
ténue entre The Curse of the Werewol
et As Boas Maneiras
n'étant pas gratuite, les deux films cultivent en effet ce rapport à
l'amour, rempart presque futile aux atrocités commises et seul
éventuel remède à la malédiction. On rapprochera donc l'histoire
de Joel et Clara de celle que vécurent Leon et la servante au beau
milieu du récit qu'il vécurent à travers le film de Terence
Fisher. Doté d'un certain exotisme, c'est peut-être aussi grâce à
cet élément que le film de Juliana Rojas et Marco Dutra tient tout
ou partie de son intérêt. La culture et les modes de vie de cette
frange de la population brésilienne vivant dans un quartier pauvre
mais où le mal ne semble jamais avoir de prise sur la gentillesse et
la coopération des uns envers les autres. Visuellement attractif et
interprété dans sa première partie par deux talentueuses actrices,
As Boas Maneiras
souffre peut-être de sa trop longue durée. En effet, le film
n'avait nul besoin de s'éteindre jusqu'à atteindre les cent-trente
minutes. Certains auraient peut-être même préféré que le
long-métrage se clôt à l'issue de la grossesse d'Ana, ce qui
n'aurait sans doute pas été une mauvaise chose. On remettra moins
en question les qualités de la seconde partie que les
effets-spéciaux quelque peu risibles (touchant de naïveté
pourrons-nous avoir la courtoisie de les juger) lors desquels est mis
en images un jeune loup-garou de synthèse qui ressemble davantage à
un gros rongeur extrait d'un film d'animation qu'à l'un de ces
effrayants prédateurs qui ont parcouru jusqu'à maintenant, nombre
de longs-métrage horrifico-fantastiques. Mais pour le reste, As
Boas Maneiras demeure
une expérience cinématographique réellement enrichissante...
Pour
le troisième et dernier film consacré aux loups-garou, nous restons
en 2017 mais nous nous dirigeons cette fois-ci vers la Norvège.
Skyggenes Dal
s'inscrit dans un contexte rural propice à l'apparition d'une bête
qui s'attaque aux troupeaux des bergers. Alors que les adultes
évoquent une raison cartésienne, Lasse (Lennard Salamon) pense en
priorité à une créature du bestiaire fantastique et révèle très
rapidement ses soupçons à son ami Aslak (Adam Ekeli). S'ensuit un
récit plus ou moins convainquant. Surtout, en la matière, et pour
son tout premier long-métrage, le réalisateur norvégien Jonas
Matzow Gulbrandsen semble tout d'abord beaucoup plus préoccupé par
le drame qui touche cette famille ''décimée'' par la disparition du
père et la mort toute récente du fils aîné par overdose que par
la créature qui dans la région laisse derrière elle les carcasses
fumantes et sanguinolentes de bêtes d'élevage. On l'aura très
rapidement compris, le film sera d'abord vécu dans la douleur et
l'impatience par toutes celles et ceux qui attendaient autre chose
que ce spectacle languissant aux lignes de dialogues parfois si rares
que le moindre mot prononcé semble d'abord mûrement réfléchi.
C'est un fait indéniable, mais le film est beau. Le septième art
rejoint ici le troisième ainsi que le quatrième. Jonas Matzow
Gulbrands hésite, tout d'abord, entre des décors qui éveillent la
passion pour les couleurs ternes et les formes imprécises et le
récit qui, lui, continue son petit bout de chemin sans que rien ne
vienne vraiment bouleverser le calme qui règne dans cette région
vallonnée ni secouer la léthargie des interprètes. On se
laisserait presque tomber dans les bras de Morphée tant Skyggenes
Dal
apaise comme une longue plage d'Ambient...
Et ce, dans le meilleur des cas, en tout état de cause, car pour les
réfractaires, la décision de réduire l'expérience à la seule
moitié du long-métrage sera tout à fait compréhensible...
Et
dire que c'est la disparition d'un chien qui viendra définitivement
bouleverser ceux qui auront eu le courage de tenir jusqu'au bout.Car
du récit filiforme qui jusque là ne nous avait offert que de jolies
et ponctuelles séquences planantes va aller encore plus loin dans le
concept et nous régaler grâce à un visuel qui jusqu'à la fin, ne
cessera de nous émerveiller. Poétique et d'une effarante beauté,
Skyggenes Dal
est un conte pour adultes sur l'enfance et la solitude. Et le voyage
que va entreprendre le jeune Aslak pour retrouver son animal de
compagnie ne devrait laisser personne indifférent. Le directeur de
la photographie Marius Matzow Gulbrandsen accomplit ici des prouesses
et chaque séquence, chaque plan agit sur les rétines comme autant
de saveurs sur les pupilles gustatives. Skyggenes
Dal est
une œuvre d'art où s'accouplent les images, le son, la lumière et
les couleurs. Surtout, Jonas Matzow Gulbrands semble vouloir partager
sa passion pour son pays. Sauvage. Beau mais angoissant. Froid et
humide. Calme mais recelant d'inquiétant secrets. Film audacieux
dans son approche lente et monotone, Skyggenes
Dal est
typique d'un certain cinéma scandinave devant lequel certains se
courberont d'admiration. Magnifié par la sublime partition du
compositeur polonais Zbigniew Preisner, l’œuvre du cinéaste
norvégien est un émerveillement de tous les instants. Une belle
manière de terminer cette soirée consacrée aux loups-garous avant
de fermer les yeux et de s'endormir...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire