Les guerres entre gangs
et autres bagarres de rues ont produit un certain nombre de films au
cinéma. Parmi eux, l'un des plus célèbres demeure le classique
réalisé par Walter Hill en 1979, Warriors (Les
guerriers de la nuit).
Un indémodable... Il s'agira moins ici d'évoquer cette référence
ultime dans le genre que quelques autres productions fort
intéressantes qui suivirent peu ou prou la même voie. Telle Les
seigneurs
(The Wanderers)
du réalisateur américain Philip Kaufman (à ne pas confondre avec
la comédie française éponyme réalisée en 2012 par Olivier
Dahan), cinéaste qui un an auparavant signait le paranoïaque
Invasion of the Body Snatchers,
remake surpassant allégrement l'original réalisé vingt-deux ans
plus tôt par Don Siegel en 1956. Viendront peut-être par la suite
des articles consacrés à Outsiders
et Rusty James
tout deux réalisés d'affilée par Francis Ford Coppola en 1983. Ou
encore Streets of Rage
de Walter Hill (encore lui) qui verra le jour l'année suivante. Mais
d'ici là, penchons-nous tout d'abord sur The
Wanderers et
ses groupes d'adolescents réunis en bandes. Les différences ne s'y
arrêtent pas simplement à la tenue vestimentaire de chacun mais
toute bande qui se respecte est d'abord un ensemble d'individus
partageant les mêmes valeurs, les mêmes causes et étant de même
origine ethnique. Ici, les problèmes commencent à l'école. Lorsque
le professeur Sharp (l'acteur Val Avery que l'on verra notamment dans
plusieurs épisodes de la série Columbo)
tente d'inculquer des valeurs à ses élèves dont la moitié au
moins est constituée de fils d'immigrés italiens et la seconde
d'afro-américains. Philip Kaufman avait tout d'abord prévu de
réaliser le film bien avant son chef-d’œuvre de la
science-fiction anxiogène. Mais les producteurs ne se bousculant pas
à sa porte, il attendra le moment propice pour se rendre à New York
et faire lire au producteur Martin Ransooff le scénario qu'il a
rédigé en compagnie de son épouse Rose sur la base du roman
éponyme écrit par le romancier et scénariste Richard Price...
L'intrigue
prend place dans le courant des années soixante comme l'évoquent
les cheveux gominés des membres de certains gangs ainsi que leur
tenue vestimentaire et plus encore la bande musicale compilant une
vingtaines de chansons rock n' roll interprétées entre autres par
The Four Seasons, The Shirelles, Ben E. King, Dion DiMucci ou encore
The Isley Brothers. L'action situe également son action dans le
Bronx. C'est là que débarquent tout d'abord les Baldies.
Des types pas très finauds qui se distinguent des autres gangs par
leur crâne rasé et leur invariable légèreté d'esprit. À tel
point, détail amusant, qu'ils seront finalement les seuls à ne pas
faire la différence avec l'un d'entre eux dont le teint est
d'ébène ! Avoir des fusibles en moins serait-il finalement le
seul remède contre le racisme ? Deux des véritables héros du
film sont les membres du gang Wanderers
parmi lesquels l'on retrouve Turkey (Alan Rosenberg) et Joey (John
Friedrich), lequel vient tout juste de se raser le crâne afin de
rejoindre le gang du tant redouté Terreur, un colosse aussi haut que
large mais dont le quotient intellectuel n'a pour le moment pas l'air
de dépasser celui d'un enfant de quatre ou cinq ans. Dans les
ruelles d'un quartier du Bronx, les deux gamins sont poursuivis par
les membres des Baldies
et ne verront leur salut que grâce à l'intervention d'un certain
Perry LaGuardia (l'acteur Tony Ganios) qui s'avère être le nouveau
voisin de Turkey. L'on a droit à un affrontement qui malheureusement
laisse craindre le pire pour la suite. À moins que Philip Kaufman ne
préfère pour l'instant ménager ses jeunes montures car la séquence
de bagarre qui oppose Perry à une dizaines des membres des Baldies
s'avère
relativement mal fagotée. Des coups de poings qui s'enchaînent les
uns après les autres face à des brutes épaisses qui défilent à
la queue leu leu. La séquence n'occasionne aucun sentiment d'effroi
et Joey, Turkey et leur nouvel ami s'en sortent sans la moindre
égratignure. Espérons que la suite sera d'un autre tonneau...
Interviennent
alors les membres d'un gang d'afro-américains dans l'enceinte même
de l'école où sont censés étudier les élèves. Parmi eux, nous
reconnaîtrons l'acteur Michael Wright qui quatre ans plus tard
interprétera le personnage d'Elias Taylor, l'un des piliers de la
résistance face à l'envahisseur extraterrestre dans la série de
science-fiction culte, V.
il s'agit là de son tout premier rôle au cinéma et Philip Kaufman
semble ne s'y être pas trompé puisque plutôt que de le reléguer
dans le simple rôle de l'un des membres du gang afro-américain, il
en fait carrément leur chef. L'acteur personnifie donc un jeune
homme qui semble nettement plus réfléchi que ses compagnons. Si le
film est l'occasion de séquences plus amusantes que réellement
dramatiques (celle faisant intervenir Joey et l'un de ses camarades
sur le pont face à un jeu orchestré par terreur et les membres de
son gang est significative), Philip kaufman ajoute cependant quelques
soupçons de cruauté. Comme la punition infligée par le chef de la
mafia italienne locale Chubby Galasso (Dolph Sweet) à un jeune homme
dans une salle de bowling ! La gente féminine tarde à se
montrer à l'écran puisque durant un bon tiers, le premier, celle-ci
n'est jamais représentée. Ou en tout cas, à hauteur de poitrine
uniquement ! Intervient alors l'actrice Karen Allen et son
regard empli de sensualité. Bien que la jeune actrice ait déjà
tenu un rôle au cinéma dans American College,
c'est réellement l’œuvre de Philip Kaufman qui révèle son
charme et son talent lors de sa miraculeuse apparition dans les rues
du Bronx, deux ans avant qu'un certain Steven Spielberg ne l'engage
sur le tournage d'un tout petit film intitulé Les
Aventuriers de l'arche perdue !
L'acteur Ken Wahl interprète quant à lui le personnage central de
Richie Gennaro, lui-même membre des Wanderers.
Aidé par sa belle gueule, on ne le verra cependant que dans très
peu de longs-métrages par la suite mais aussi et surtout dans le
rôle principal de Vincent Terranova dans la série américaine à
succès, Un flic dans la Mafia
entre 1987 et 1990...
Le
récit de The Wanderers s'offre
parfois des ruptures de ton assez surprenantes : Après une
longue séquence aussi amusante que naïve se déroulant lors d'une
soirée organisée par la fiancée de Richie (la partie de
strip-poker est cultissime), on assiste à la traque nocturne et
cauchemardesque de Joey (souvenez-vous, l'ancien Wanderers au crâne
rasé) par des dizaines d'hommes qui veulent sa peau, dans des rues
malfamées et enfumées. Autant dire que Philip Kaufman bat le froid
après nous avoir réchauffé le cœur (et le reste) devant
l'effeuillage des deux principales interprètes féminines. Les
premières inquiétudes laissent donc rapidement le champ libre au
soulagement. Plus l'intrigue de The Wanderers
progresse et plus le film revêt une évidence : nous sommes là,
devant un divertissement infiniment riche qui gagne en profondeur et
en finesse à mesure que l'histoire évolue vers plus de sérieux.
Une chronique de l'adolescence américaine des années soixante, sur
fond de Mafia, de guerre des gangs et de trahisons amoureuses, à
l'aube du passage à l'âge adulte avec le nombre de transformations,
de bouleversements et de responsabilités que cela suggère. Un
classique, quelque part entre Les guerriers de la
nuit de
Walter Hill, The Blues Brothers
de John Landis, The Breakfast Club de
John Hughes et le cinéma de Martin Scorsese. Mais c'est avant tout
le cinéma de Philip Kaufman qui s'y exprime. Admirable, brillant et
tout simplement culte... !
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