Si l'on s'en tient
uniquement au cinéma d'horreur et d'épouvante asiatique de la fin
des années quatre-vingt dix jusqu'au milieu de la décennie
suivante,
Gin Gwai des
frères Oxide Chun et Danny Pang entre dans la grande tradition de la
J-Horror
tout en s'éloignant des origines qui lient en revanche le cinéma de
Takashi Shimizu (la série des Ju-On,
Marebito,
Rinne ou
plus récemment, Homunkurusu)
de celui de Hideo Nakata (la franchise Ringu,
le sublime Honogurai Mizu no Soko Kara
ou l'étonnant Chatroom)
ou encore l'univers de Shin'ya Tsukamoto (le chef-d’œuvre Tetsuo
ainsi
que les formidables Kotoko,
Fires on the plain
et A Snake of June).
Et ce pour une raison strictement géographique puisque si la
J-Horror
se réfère implicitement au cinéma japonais, l'envie d'élargir le
champ d'action de ce sous-genre horrifique qui a connu son heure de
gloire à la fin du siècle dernier et dans les premières années du
suivant est tentante. Toujours cette fâcheuse habitude qu'à
l'occidental de voir derrière chaque regard aux yeux bridés, celui
d'un chinois ou d'un japonais sans jamais regarder plus loin et
concevoir que l'Asie est un continent qui à lui seul compte plus de
quatre milliards et demi d'individus répartis dans quarante-huit
pays. Les frères Pang sont d'origine sino-thaïlandaise et leur
second long-métrage en commun, une co-production entre Hong Kong et
Singapour. Ce qui le met donc d'emblée hors course dans la liste des
meilleurs film d'horreur, d'épouvante ou fantastique du cinéma
japonais. Ce qui ne lui enlève pas pour autant ses indéniables
qualités qui feraient taire celles et ceux qui ne jurent que par le
cinéma du pays de Soleil Levant ! En effet, si Gin
Gwai
aurait tout de même pu bénéficier d'un soin plus important en
matière d'effets visuels, pour le reste, le long-métrage des frère
Pang est un vrai plaisir de cinéma horrifique. Et pourtant, les
occasions de sursauter s'y font relativement rares pour ne pas dire
totalement absentes. C'est donc ailleurs qu'il faudra chercher les
qualités de ce film de fantômes qui plutôt que de reproduire les
recettes déjà usées jusqu'à la corde à l'époque (nous sommes
alors en 2002) et dont se sont fait les chantres Takashi Shimizu et
Hideo Nakata, aborde le sujet sous un angle inédit !
Et
même, sous deux angles différents puisqu'alors que la jeune héroïne
aveugle Wong Kar Mun (l'actrice malaisienne Angelica Lee) va être
témoin de la présence de fantômes à la suite d'une opération des
yeux lui ayant permis de recouvrer la vue, Gin
Gwai
prend un virage tout à fait inattendu, intéressant cette fois-ci
directement la jeune femme dans le cadre des apparitions. Ce qui peut
rebuter dès le départ est le traitement visuel de l'intrigue.
Bénéficiant d'un petit budget d'un peu plus de deux millions de
dollars et demi, les frère Pang semblent n'avoir pas prioritairement
misé sur les effets-spéciaux mais davantage sur le scénario qu'ils
ont écrit tous les deux en collaboration avec l'actrice, productrice
et scénariste Yuet-Jan Hui. Multipliant les ralentis clipesques et
certains effets proprement ringards, le film a de plus tendance à
arborer une esthétique de téléfilm relativement déroutante. Il
est d'ailleurs étonnant de constater que les choses iront en
s'améliorant au fil du récit. À croire que l'argent de la
production est rentré dans le projet au compte-goutte ou que les
frangins se soient aperçu du naufrage vers lequel tendait leur mise
en scène. Passée cette première impression plutôt navrante, Gin
Gwai
se révèle être en réalité une excellente surprise. On passe de
l'horrible violon synthétique à une musique tribale et d'une image
léchée très ''Soap''
à un piqué déjà beaucoup plus crédible. Non content d'être
franchement craquante, Angelica Lee est épatante dans le rôle de
cette ancienne aveugle victime dans un premier temps d'une sévère
myopie (idée géniale qui une fois exploitée en vue subjective
offre quelques courtes séquences plus ou moins angoissantes) et qui
va enquêter ensuite sur le décès d'une jeune adolescente.
Inutile
de préciser que le film se doit d'être découvert dans sa version
originale tant le doublage apparaît souvent atroce. En effet, les
voix de certaines ''apparitions'' sont dans notre langue parfaitement
ridicules, et quant au français Alexandre Gillet, il a beau être
notamment le doubleur officiel de l'acteur américain Elijah Wood
depuis la trilogie du Seigneur des anneaux
de Peter Jackson, entendre l'acteur canado-hongkongais affublé de
son timbre de voix ne passe absolument pas à l'image. Pas un seul
frisson (ou si peu), des effets-spéciaux d'une autre époque, une
mise en scène et une bande musicale qui dans la première moitié se
révèlent gnangnan... Avec des tares pareilles, on pourrait
considérer Gin Gwai
comme un mauvais film d'épouvante et fantastique. Et pourtant, le
miracle a lieu puisqu'à côté de ses défauts, le long-métrage
bénéficie d'un scénario solide, d'une très belle interprétation
de la part de ses acteurs principaux ainsi que d'un twist génial
permettant en outre de relancer l'intrigue sur un terrain prometteur
qui nous tient en haleine jusqu'au bout. Notons qu'Oxide Chun et
Danny Pang n'en sont pas restés là puisque les frangins ont réalisé
une première séquelle deux ans plus tard sous le titre Gin
gwai 2
(The Eye 2, renaissances)
ainsi qu'un troisième volet intitulé Gin gwai
10
(The Eye 3, l'au-delà)
l'année suivante. Quant à ce premier volet de la trilogie, il sera
nominé et récompensé d'une foule de prix dans divers festivals à
travers le monde dont le Prix
de la Meilleure photographie
qui sera attribué à Decha Srimantra au Festival international du
film de Catalogne de Sitges en 2002 ou celui du meilleur film et de
la meilleure actrice pour Angelica Lee à la 22ème cérémonie des
Hong Kong Film
Awards
l'année suivante...
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