Fasciné par la
difformité physique, le réalisateur et scénariste américain Tod
Browning aura au moins abordé à trois reprise le sujet de la
différence avec en premier lieu, Le Club des trois
(The Unholy Three)
daté de 1925 et ses personnages dignes de figurer dans n'importe
quel cirque itinérant exhibant entre le milieu du dix-neuvième et
le milieu du vingtième siècles, des femmes et des hommes atteints
de tares physiques. Une approche de l'humanité qui atteindra des
sommets en 1932 avec l'un des chefs-d’œuvre de Tod Browning,
Freaks, la monstrueuse parade.
Film maudit, interdit durant des décennie, et qui contrairement à
ce que son contenu pourrait laisser croire, est un hommage et un
témoignage d'amour envers ces êtres physiquement ''monstrueux''
mais à la morale exemplaire. Entre ces deux films, le réalisateur
américain réalisa L'inconnu (The
Unknown)
en 1927. Autre très grand film de Tod Browning qui avec sa petite
poignée de personnages, mais accompagné d'un script imparable signé
de Waldemar Young d'après une histoire écrite par le réalisateur
lui-même, s'avère un très grand moment de cinéma muet. D'une
durée n'excédant pas les soixante-cinq minutes (le film étant
parfois plus court selon la version), L'inconnu
est
une magnifique histoire d'amour, de sacrifice, mais aussi de
vengeance. Le cadre : un cirque itinérant où sont employés
Malabar (l'acteur Norman Kerry), véritable force de la nature épris
de la douce et jolie Nanon (Joan Crawford), la fille du directeur
Antonio Zanzi (Nick de Ruiz). Et puis, il y a Alonzo, homme sans
bras, fou amoureux lui aussi de la jeune femme. Celle-ci ayant peur
du moindre contact physique avec les hommes, Alonzo possède un net
avantage sur Malabar, cette brute gentille mais manquant parfois de
douceur...
Si
vous n'avez pas encore découvert cette merveille absolu, ce terme de
chef-d’œuvre que peut revendiquer L'inconnu
sans rougir le moins du monde, passez désormais votre chemin et ne
lisez pas ce qui suit... Car plus que cette histoire d'amour et ce
trio de personnages, c'est bien le caractère incroyablement
diabolique du scénario qui laissera pantois d'admiration n'importe
quel cinéphile. Au point même que son écriture semble aller bien
au delà de celle, plus ''classique'' de Freaks,
la monstrueuse parade.
Ici, en l'espace d'un peu plus d'une heure seulement, le film nous
révèle le caractère et les intentions d'un Alonzo qu'interprète
admirablement celui que l'on surnomait ''l’homme
aux mille visages'',
Lon Chaney. L'acteur y brille tant par sa capacité à se fondre dans
son personnage que l'on a parfois, et même très souvent, le
sentiment d'être face à un authentique ''monstre
de foire''.
Sans bras et contraint de pratiquer l'antipodisme, Alonzo cache
surtout de sombres secrets. Attention Spoil !!! En effet, plus
que le doux prétendant à l'amour de la belle Nanon, le manchot est
un criminel qui se cache sous cet emploi afin d'échapper à la
police qui le recherche. Son assistant Cojo (l'acteur John George) et
lui sont en effet les seuls à savoir qu'il cache ses membres
supérieurs sous un corset qu'il ne retire qu'à l'abri des
regards...
Coupable
plus tard du meurtre du directeur du cirque qui a découvert le pot
aux roses, Alonzo se voit désormais contraint de demander à un
chirurgien d'opérer une ablation de ses deux bras s'il veut pouvoir
s'attirer les faveurs de Nanon. Malheureusement pour lui, lors de son
absence, la jeune femme s'est débarrassée de sa crainte envers les
hommes et a finit par accepter d'épouser Malabar... Lorsque l'on
évoque le terme de sacrifice, la chose prend ici une ampleur sans
égale. Il y a dans cet Inconnu,
un peu de la tragédie que connaîtront les personnages de
l'époustouflant Santa Sangre
que réalisera bien des décennies plus tard le chilien Alessandro
Jodorowsky. Lon Chaney y est tour à tour bouleversant et inquiétant,
l'amour et la... ''trahison''
le menant jusqu'à ce sourire sinistre, signe de sa double
personnalité. Laquelle le poussera dans ses derniers retranchements
de criminel jusqu'à ce que l'amour l'emporte par son propre
sacrifice. Passé le cap du muet auquel certains spectateurs
craindront sans doute de se frotter, l'on oublie rapidement que les
dialogues s'inscrivent sous forme d'inter-textes pour nous plonger
dans ce drame poignant, admirablement interprété, au scénario
extrêmement fort et à la mise en scène sublime...
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