Alors qu'en 2015 sortait
sur les écrans le très beau Crimson Peak
auquel il manquait sans doute un soupçon d'émotion (non pas de
celle qu'éprouvaient les personnages mais de celle qu'auraient dû
ressentir les spectateurs) que les superbes visuels ne parvenaient
pas toujours à combler, le réalisateur mexicain Guillermo Del Toro
ne perdit pas son temps et proposa deux ans plus tard l'une de ses
œuvres les plus réussies. La forme de l'eau
reste en effet parmi l'un des films les plus marquants de leurs
auteur. Digérant le cinéma fantastico-poétique de certains grands
cinéastes au titre desquels les français Jean-Pierre Jeunet et Marc
Caro ne sont sans doute pas étrangers. Le réalisateur prenait le
risque de se noyer (sans mauvais jeu de mots) dans un récit
éminemment sirupeux mais, ô miracle, la machine fonctionne à
merveille. Dans une certaine mesure, le long-métrage prend la forme
d'une succession d'hommages à quelques classiques du cinéma dont le
duo de réalisateurs hexagonaux peuvent se montrer fiers. Il y a en
effet dans ce conte que l'on rapprochera sans doute tout d'abord de
La belle et la
Bête (conte
célébré dans le monde entier et dont les premières traces
remontent au deuxième siècle après J-C à travers Les
métamorphoses
du philosophe algérien Apulée), passion entre une femme et un
monstre, l'exploitation d'une créature célèbre qui vit le jour
pour la première fois sur grand écran le 5 mars 1954 à travers
L'Étrange Créature du lac noir
de Jack Arnold. L'action semble d'ailleurs se situer quelques années
après puisqu'en pleine conquête de l'espace, les soviétique ont
récemment envoyé en orbite la chienne Laïka !
L'occasion pour les États-Unis de prendre leur revanche en
exploitant les capacités respiratoires de la créature que le
colonel Richard Strikland vient de ramener d'une rivière située en
Amérique du sud...
Une
créature humanoïde et amphibienne capable de rester dans et hors de
l'eau. Enfermée dans l'une des pièces d'un laboratoire
gouvernemental situé à Baltimore, une femme de ménage muette
prénommée Élisa va très rapidement se rapprocher de la créature
et faire tout son possible pour qu'alors, le tyrannique colonel ne
parviennent pas à faire de la bête, un spécimen sur lequel
pratiquer des expériences. Partant d'un postulat relativement
classique, les qualités visuelles de La forme de
l'eau sautent
immédiatement aux yeux. Déjà conquis par les exigences esthétiques
d'un Guillermo Del Toro sachant s'entourer des meilleurs artisans,
les spectateurs retrouvent l'ampleur visuelle de son
Labyrinthe de Pan
ou de Crimson Peak,
justement. Mais cependant, l'on rapprochera davantage son dixième
long-métrage de l’œuvre commune des deux réalisateurs français
cités plus haut. De Delicatessen
et La cité des enfants perdus
jusqu'au Fabuleux Destin d'Amélie Poulain que
Jean-Pierre Jeunet réalisera cette fois-ci en solo, tout ou presque
dans La forme de l'eau
transpire l'univers des deux français. En résulte une œuvre
visuellement éblouissante. Dont les teintes de verts dominent sur le
reste. Une quasi-déliquescence qui semble autant emprunter au cinéma
de Jeunet et Caro qu'à un jeu vidéo qui à l'époque de sa sortie
marqua les esprits : Bioshock,
qui au milieu des années 2000 fut conçu par les développeurs de
chez 2K Boston/2K Australia.
L'emploi de vieux airs signés d'Andy Williams ou de Carmen Miranda
confortant ici l'impression que le jeu a pour tout ou partie été
une source d'inspiration majeure. Une musique qui sera cependant
accompagnée par la bande originale signée du français Alexandre
Desplat et qui...
''Incapable de percevoir ta forme, je te trouve tout autour de moi...''
...comme
par hasard, débute sur un air d'accordéon rappelant furieusement
l'esprit parisien du Fabuleux Destin d'Amélie
Poulain
dont la musique avait, elle, été composée en son temps par un
autre français, Yann Tiersen. Outre le récit d'une rencontre entre
une jeune femme muette et une créature amphibienne, La
forme de l'eau
est aussi sous certains aspects, un film d'espionnage où les russes
tentent d'éliminer la créature qui permettrait théoriquement à
leurs principaux rivaux de mettre un coup d'accélérateur à leurs
projets spatiaux ! Michael Shannen incarne le véritable monstre
du film. Ce que l'on a communément l'habitude de nommer dans un film
sous le nom de ''grand méchant''. Sinistre, impitoyable et
insensible, il est l'antithèse de la fragile héroïne et se conçoit
comme la nouvelle version du monstrueux Capitaine Vidal,
formidablement interprété par Sergi López dans Le
labyrinthe de Pan.
Complot scientifico-militaire, espionnage, thriller, fantastique,
romance, on trouve de tout dans La forme de
l'eau.
Des claquettes, un peu de comédie musicale, des thèmes sociaux
comme le ségrégationnisme ou de l'héroïsme pur. De la direction
artistique de Paul D. Austerberry, des décors de Nigel Churcher, des
costumes de Luis Sequeira, de la photographie, sublime, de Fan
Laustsen, de la mise en scène de Guillermo Del Toro, de la bande-son
jusqu'à l'interprétation de Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard
Jenkins (formidable dans le rôle du voisin de la jeune muette),
Octavia Spencer, Michael Stuhlbarg ou bien même de Doug Jones dans
le costume de la créature, tout respire l'amour du cinéma bien
fait. Avec La forme de l'eau,
Le labyrinthe de Pan trouvait
onze ans après, son égal. La preuve que le réalisateur mexicain en
avait encore sous la botte. Chose qu'il semble avoir une fois de plus
confirmé cette année avec son dernier long-métrage, Nightmare
Alley...
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