En mars 1970, le
réalisateur et scénariste français Jacques Baratier et la société
de production Argos Films (Nuit
et brouillard d'Alain
Resnais) lançaient une bombe surréaliste aussi enthousiasmante
qu'Un chien andalou
que réalisa l'espagnol Luis Buñuel en 1929 après en avoir écrit
le scénario aux côtés de son compatriote Salvatore Dali. Pouvant
être parfois envisagé comme l'ancêtre d'une œuvre aussi marquante
que le Singapore Sling
du grec Nikos Nikolaïdis, Piège est
un moyen-métrage d'un peu moins d'une heure proprement hallucinant.
Mais qu'est-ce qui peut bien pousser un cinéphile/phage à se lancer
dans une telle projection ? Sans doute la présence à l'écran du
romancier, essayiste et réalisateur espagnol Fernando Arrabal, ce
trublion du septième art qui aux côtés du franco-chilien Alejandro
Jodorowsky fut à l'origine du mouvement artistique Panique.
Peut-être parce que les actrices française Bulle Ogier l(a blonde)
et Bernadette Lafont (la brune) y interprètent les rôles
principaux ? Deux voleuses qui s'introduisent dans la demeure
d'un jeune homme (interprété par Jean-Baptiste Thierrée) avant d'y
saccager scrupuleusement tout ce que celui-ci contient ? Avant
de jouer avec la nourriture dans une forme de transe hallucinatoire
absolument démentielle ? Ou alors, plus simplement pour
l'histoire ? Intrigante, folle et cauchemardesque ? Dans un noir
et blanc étouffant et souvent plongé dans une certaine obscurité,
on découvre deux actrices dans une attitude peu commune. Sous
l'emprise dont on ne sait quel démon de la luxure.
Tout
débute dans un magasin dont la spécialité est la vente de pièges.
C'est là qu'apparaît Fernando Arrabal qui dans un français
approximatif explique au jeune homme qui vient d'entrer, les
différences qu'il y a entre divers produits mis en vente. L'homme
lui achète alors un piège à ours, retourne chez lui, l'installe et
attend patiemment la venue des deux cambrioleuses. Lesquelles vont
d'abord s'intéresser au coffre du propriétaire avant de tout
détruire dans la demeure. Jusqu'ici, rien de vraiment ''anormal''
dirons-nous, à part sans doute un traitement narratif très curieux
que l'on n'a honnêtement pas trop coutume de rencontrer de nos
jours. Du cinéma intellectuel certainement très branché nouvelle
vague (période durant laquelle le film est d'ailleurs réalisé) et
donc, quelque part, indicible. Le principal intérêt de Piège,
qui fut précédé la même année de prologue de
piège qui
lui ne s'intéressait qu'à la séquence mettant en scène Fernando
Arrabal, se situe sans doute au moment même où les deux actrices
semblent être comme possédées. Dévorant ou recrachant la
nourriture dressée sur une table. Riant comme deux aliénées,
agitées de spasmes, le visage blanc, les yeux et les lèvres
maquillés de noir... Le spectacle qui se déroule sous nos yeux est
à peine croyable. Comme le brouillon des séquences trash du Sweet
Movie
de réalisateur yougoslave Dusan Makavejev qui verra le jour quatre
ans plus tard. L'image se déforme, mue par des voiles dont les
circonvolutions sont l’œuvre d'une brise légère. Projetant nos
deux harpies, les dédoublant, aidant ainsi à l'obtention de
l'effet recherché. Car tout ceci n'est qu'un cauchemar. Du moins le
réalisateur semble-t-il voir les choses ainsi. Le son n'est pas en
reste. Distordu par des effets de réverbération, la sensation
d'être emporté dans un tourbillon est plus concrète que jamais.
Bulle Ogier et Bernadette Lafont s'y lâchent sans retenue jusqu'à
ce que la pression se relâche quelque peu et que Fernando Arrabal ne
réapparaisse afin de clore le récit...
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