Je m'étonne toujours de
voir combien mon ressenti peut parfois diverger de celui de nombre de
critiques. Profession du père
est un bon exemple de ce genre de désarroi lorsque je lis ça et là
qu'un long-métrage est au mieux un sympathique film ou au pire, une
œuvre ratée. C'est à se demander si parfois certains spectateurs
manquent d'émotion ou que d'autres, comme moi, en débordent un peu
trop. Benoît Poelvoorde est en sa matière d'interprète
tragi-comique, ce que le septième art a enfanté de meilleur depuis
ses débuts cinématographiques. N'en déplaisent aux vieilles
rombières qui s'offusqueront toujours devant C'est
arrivé près de chez vous,
le plus français des belges et du moins, celui qui parvient à
sauver notre cinéma humoristique de l'indigence dans laquelle
certains scénaristes, réalisateur, producteurs et interprètes se
complaisent, parvient encore une fois à nous émouvoir dans cette
étrange chose filmique qui intrigue bien avant l'entrée dans la
salle de cinéma pour mieux nous tromper d'ailleurs avec son affiche
en totale inadéquation avec son contenu. Une comédie comme semblent
vouloir l'afficher (par contrainte?) Benoit Poelvoorde et le jeune
Jules Lefebvre quand en réalité, Profession du
père,
c'est d'abord le drame d'une petite famille vivant dans les années
soixante au cœur d'une petite ville de province. Une famille qui a
tout pour être heureuse mais dont l'existence est minée par un
traumatisme. Celui du père qu'interprète justement l'acteur belge
avec toute la puissance qu'on lui connaît, entre retenue et
terribles crises de démence. Parce qu'il a vécu les horreurs de la
guerre d'Algérie, André Choulans a développé de drôles
d’obsessions qu'il va très rapidement reporter sur son fils auquel
il va confier des missions périlleuses est inconcevables pour un
enfant de douze ans. Traumatisme, oui. Mais aussi
sûrement, mythomanie et paranoïa, lesquelles semblent diriger les
propos et les actes de ce père aussi bouleversant qu'inquiétant.
D'où cette qualité qu'à Benoît Poelvoorde à camper ce père avec
toute la fragilité qui semble émaner de l'acteur, bien avant
qu'elle ne transparaisse chez lui une fois démarré le tournage...
Profession du père
tourne autour de très peu de personnages à vrai dire. Car en dehors
de Benoît Poelvoorde, de l'excellent Jules Lefebvre dont certains
regards et certaines attitudes sont bluffantes de maturité, on
retiendra aussi l'actrice Audrey Dana dans le rôle de Denise
Choulans, cette épouse aimante, patiente, mais jamais tout à fait
innocente dans cette attitude qu'elle adopte parfois lorsque son
époux s'emporte contre leur enfant. Graduellement, le film s'enfonce
dans un cauchemar ordinaire qui tend à évoquer ces cas d'enfants
battus mais qui trouve ici une explication. Voire, il est terrible de
l'énoncer, une justification. Benoît Poelvoorde passe du père
héroïque qui fait rêver son fils, au dangereux paranoïaque qui
finit même par se méfie même de ses proches. Adapté du roman
éponyme de l'écrivain français Sorj Chalandon réputé pour être
particulièrement sombre, Benoît Poelvoorde retrouve le réalisateur
Jean-Pierre Améris avec lequel l'acteur avait déjà tourné à deux
reprises dans les comédies Les émotifs anonymes
en 2010 et Une famille à louer
cinq ans plus tard. Autant dire qu'avec Profession
du père,
le ton emprunté est bien différent. On ne s'y jette pas pour rire.
Ou alors faut-il avoir l'esprit sacrément tordu pour se délecter du
climat tendu qui peu à peu s'installe au sein de cette attachante
famille et qui se termine sur un final pas vraiment joyeux avec un
Benoît Poelvoorde qui rejoint au panthéon de la folie, celles et
ceux que réalisateur et scénariste ont choisi d'abandonner à leur
triste sort. Profession du père
est une expérience fascinante qui nous offre la subtilité de ne pas
juger ses personnages pour ce qu'ils portent de ''mauvais'' en eux.
Si l'on s'attache immédiatement au jeune Émile grâce au talent et
à la grande expressivité de son interprète et si Audrey Dana est
elle-même très touchante dans le rôle de cette épouse ''coincée''
entre son amour pour André et son instinct maternel, c'est pourtant
bien Benoît Poelvoorde qui continue de nous hanter longtemps après
la fin de la projection... Troublant...
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