En 1977, le réalisateur,
scénariste et dessinateur Terry Gilliam s'affranchissait réellement
pour la première fois de la troupe des Monty Python
en réalisant son premier vrai film en solo. Après s'être fait la
main sur deux courts (Storytime
en 1968 et Miracle of Flight en
1975) et sur le plus célèbre des longs-métrages de la troupe Monty
Python:Sacré Graal
co-réalisé avec son acolyte Terry Jones, Terry Gilliam lance
lui-même le projet Jabberwocky
qui verra donc le jour deux ans plus tard. D'abord opportunément
intitulé Monty Python's Jabberwocky
par les producteurs, ce n'est qu'après un procès qu'ils perdront
que le titre connaîtra finalement sa forme définitive. Une œuvre
inspirée du poème éponyme provenant à l'origine du roman de Lewis
Carroll De l'autre côté du miroir que Terry Gilliam rêve de mettre
en scène. Lorsque l'on parle de s'affranchir ici de la troupe des
Monty Python,
ça n'est qu'en partie vrai puisque le réalisateur (qui y fait une
apparition) convie son ami Michael Palin à tenir le rôle principal
de Dennis Cooper et Terry Jones d'y faire une apparition dans le rôle
d'un braconnier. De plus, Jabberwocky
s'inscrit dans une veine similaire à celle du premier long-métrage
cinématographique des Monty
Python
à être sorti sur les écrans de cinéma deux ans auparavant. Le
récit situe son action au moyen-âge, dans un royaume dirigé par le
roi Bruno le Douteux. S'ouvrant sur les premiers vers du poème de
Lewis Carroll (ainsi traduits à l'écran :''Il
brilgue, les tôves lubricilleux. Se gyrent en vrillant dans le
guave. Enmîmés sont les gougebosqueux. Et le mômerade
horsgrave''),
c'est là-bas que le héros Dennis Cooper choisit de refaire sa vie à
la mort de son père (interprété par l'acteur Paul Curran) tout en
promettant de revenir bientôt épouser la fellinienne Griselda
Fishfinger (Annette Badland) qui pourtant, l'ignore scrupuleusement !
Fainéant
et bon à rien, Dennis parvient à se faufiler au cœur d'une cité
fangeuse dans laquelle les gueux meurent de faim tandis que les
nantis cherchent à trouver un moyen d'arrêter l'ambition projet de
leur roi qui espère que son plus valeureux chevalier parviendra à
tuer l'immonde créature qui terrifie son peuple : le
Jabberwocky en question. Créature énorme que l'on ne verra qu'en
tout dernier instant, dévoreuse d'hommes dont elle ne laisse
derrière elle que des carcasses sanguinolentes et fumantes et
n'épargne que les visages. Tout l'humour des Monty
Python
persiste ici et Monty Python:Sacré Graal
semble y faire parfois figure de modèle inaliénable au point que
l'on s'attend à y voir débarquer Lancelot, le roi Arthur, Robin,
Patsy, Galahad ou encore Bevedere. Terry Gilliam évoque l'un de ces
contes fantastiques moyenâgeux qui comblèrent les pages blanches de
nombreux ouvrages littéraires tout en y injectant une forte dose
d'absurde et une noirceur qu'il continuera d'étaler couche après
couche durant une bonne partie de sa carrière (Brazil,
L'armée des douze singes).
Derrière le comique de situation se cache un message. Une critique
anticapitaliste qui transpire à travers l'un des principaux thème
du long-métrage. Ce problème qui interroge l'état et qui terrifie
autant ses administrés que les pauvres miséreux du royaume, affamés
et surtout terrifiés par la présence d'une créature qui dévore
quiconque ose braver les dangers en foulant le terrain de la forêt
qui jouxte l'enceinte de la cité...
Terry
Gilliam brise les conventions en octroyant au roi et à sa fille
unique qui espère un jour voir débarquer le prince charmant, des
caractères spécifiques au long-métrage. Lui est un vieillard à
moitié sénile. Elle, enfermée dans sa tour ''dorée'', est victime
de son isolement et s'avère d'une naïveté et d'une ignorance
crasses. Comme a pu l'évoquer le réalisateur qui ici se charge
également des superbes séquences animées, le film bénéficie d'un
budget riquiqui égal à la somme de cinq-cent mille dollars (le film
est alors produit par les sociétés Python
Films et
Umbrella Entertainment Productions).
Ce qui à l'écran se voit mais participe de l'aspect délicieusement
bricolé du projet. Aussi crade dans tous ses recoins que puisse être
le film, celui-ci baigne dans une certaine bonne humeur tandis que
Terry Gilliam, également auteur du scénario en compagnie du
romancier Charles Alverson, profite de l'occasion pour égratigner
certaines valeurs capitalistes qui dans le cas présent s'expriment à
travers le choix des nantis de faire perdurer l'inquiétante
situation présente aux alentours du royaume afin de continuer à
récolter de l'argent (ceux-ci craignent en effet qu'une fois libérés
du Jabberwocky, les villageois ne quittent le royaume pour un avenir
meilleur!). Pour son premier long-métrage, Terry Gilliam signe avec
Jabberwocky
une excellente comédie, ponctuée de séquences cultes (le concours
de joute équestre, l'effet-domino se déroulant dans la fabrique, le
héraut rencontrant des difficultés à faire une annonce devant le
peuple ou encore le combat final contre le Jabberwocky) et
s'inscrivant dans des décors s’avérant incroyables et évoquant
une certaine idée des conditions de vie d'alors. Un premier
long-métrage foisonnant, inventif, cruel, sale, drôle... Bref,
culte !
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