Bien avant Les
Valseuses,
Calmos,
Préparez vos mouchoirs,
Buffet Froid
ou Tenue de soirée,
le réalisateur, scénariste et écrivain français Bertrand Blier
tournait en 1967 son tout premier long-métrage de fiction. Quatre
ans après avoir mis en scène le documentaire Hitler,
connais pas,
ce jeune homme alors âgé de vingt-huit ans seulement (il en a
quatre-vingt deux aujourd'hui) réalisait un long-métrage qui ne se
situait pas encore dans la veine satirique de ses futures œuvres
même si l'on sentait déjà pointer la verve corrosive de ce
dialoguiste de génie, digne fils spirituel de Michel Audiard. Tourné
en noir et blanc et déjà interprété par son père Bernard Blier
avec lequel il tournera à deux autres occasions en 1976 dans Calmos,
chef-d’œuvre absolu de l'antiféminisme ainsi que trois ans plus
tard en 1979 dans Buffet Froid
qui reste sans doute, le meilleur film de Bertrand Blier. Mais
revenons en 1967. Bernard Blier incarne dans Si
j'étais un espion,
le docteur Lefèvre. Un médecin généraliste comme il en existe des
milliers dans notre pays. Parmi ses patients se trouve un certain
Guérin. Et c'est justement à lui que Lefèvre doit rendre visite ce
jour là. Mais alors que le médecin se trouve devant sa porte, il a
beau sonner mais personne ne vient lui ouvrir. Après avoir croisé
le chemin de Geneviève Laurent (l'actrice Suzanne Flon) qui elle
aussi aimerait savoir où se trouve Guérin, le docteur Lefèvre
tourne les talon et repart à son cabinet pour recevoir bientôt la
visite de Kruger (l'acteur Pierre Le Rumeur), le chef d'une bande qui
tente de lui soutirer des informations concernant Guérin. Mais le
médecin n'étant pas du genre à délivrer des renseignements au
premier venu, et surtout pas lorsqu'il s'agit de l'un de ses
patients, celui-ci refuse. Kruger met alors entre les pattes de
Lefèvre l'un de ses hommes de main, Matras (Bruno Cremer) et le
menace de s'en prendre à sa fille Sylvie (Patricia Scott) s'il ne
fait pas exactement tout ce qu'il lui dit...
L'avantage
avec Bernard Blier, c'est que quel que soit le film dans lequel il
apparaît l'on est sûr de passer un agréable moment. Le genre
d'acteur qui vous transforme un bousin sinon en lingot d'or, du moins
en un produit beaucoup moins malodorant. Ce qui n'est heureusement
pas le cas ici puisque pour un premier long-métrage,
Si j'étais un espion
révèle déjà un talent certain pour la mise en scène chez
Bertrand Blier que l'on compare alors plus ou moins justement au
célèbre Alfred Hitchcock. Mais à dire vrai, une grosse dizaine
d'années plus tard, les critiques auraient surtout pu comparer ce
premier long-métrage avec non pas l’œuvre du cinéaste
britannique naturalisé américain, mais avec un film. Signé de
Jacques Deray et sorti dans les salles françaises le 3 mai 1978. Car
en effet, rien ne semble vouloir diriger son personnage principal
dans une même impasse que celui de Roland Fériaux qu'interprétera
alors Lino Ventura dans Un
papillon sur l'épaule.
Le docteur Lefèvre qu'incarne admirablement le père du réalisateur
se retrouve dans une situation pas tout à fait ubuesque, mais
presque. Disons, kafkaïenne. Surtout que Bertrand Blier cultive le
mystère autour de ces individus passablement noctambules. Le docteur
Lefèvre n'échappe d'ailleurs pas lui non plus à cette approche
trouble de son personnage. Majoritairement tourné de nuit, l'aspect
''obscurantiste'' du scénario et cette volonté étroite de n'en
point révéler davantage que nécessaire sème un certain désordre
et pourra faire naître dans l'esprit du spectateur un sentiment
d'angoisse.
Comme
le voyage d'un individu en terrain méconnu, site privilégié pour
une certaine forme d'appréhension. Car oui, Si
j'étais un espion
est traversé par une vague de suspicion qui mène directement à la
paranoïa. Aidé non seulement par la présence
à l'image de son père mais également par celles de Bruno Cremer
qui incarne un ''gardien'' inquiétant bien qu'étant parfois...
''réconfortant'' (surtout si on le compare à celui qui donne les
ordres), de Claude Piéplu dans le rôle de Monteil, ami du docteur
Lefèvre ou de Suzanne Flon qui n'apparaît malheureusement que
sporadiquement à l'écran, Bertrand Blier réalise avec Si
j'étais un espion,
un très bon premier film, déjà riche de promesses quant à la
future carrière du réalisateur. Notons que le scénario reposa sur
l'écriture à six mains de Jean-Pierre Simonot, Jacques Cousseau et
Philippe Adrien. Que l'histoire originale est l’œuvre de Bertrand
Blier lui-même ainsi que du dramaturge Antoine Tudal. Que la musique
est signée de l'immense Serge Gainsbourg (certains passages évoquent
même très vaguement son Requiem
pour un con)
et qu'elle fut orchestrée par l'arrangeur et compositeur français
Michel Colombier. Ah, j'allais oublier. Notons également que
Bertrand Blier fut tout de même aidé par l'assistant-réalisateur
Gérard Guérin qui œuvre notamment sur les tournages du Corniaud
ou de La
grande Vadrouille
de Gérard Oury. Deux solides références tout de même... Si
j'étais un espion mérite
donc d'être (re)découvert d'urgence, et notamment par les fans de
celui qui demeure l'un des plus grands cinéastes hexagonaux même si
depuis quelques années Bertrand Blier semble avoir malheureusement
quelque peu perdu de sa verve (Convoi
exceptionnel)...
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