Au quatorzième siècle
lors d'un conflit opposant les armées d'Ashikaga et de Kusunoki, les
hommes sont enrôlés de force tandis que leurs épouses et leurs
mère sont restées sur place. Mais alors que les récoltes ont été
détruites à la suite d'une pluie de grêle, une femme et sa
belle-fille tentent de survivre comme elles peuvent afin de se
nourrir en attendant le retour du fils de la première qui est
également l'époux de la seconde. En un temps où les règles ne
sont plus vraiment respectées, les deux femmes ont temporairement
troqué leur rôle de mère et d'épouse contre celui de meurtrières.
En effet, dès lors qu'un soldat se perd dans l'immense champ de
roseaux qui entoure leur hutte, elle le tuent, le déshabillent,
jettent son cadavre dans un puits sans fond et échangent ses
affaires contre un peu de nourriture auprès d'un vieil homme réfugié
dans une grotte . Mais un jour, un voisin parti en guerre devenu
ensuite déserteur réapparaît. Il annonce à la mère et sa
belle-fille que celui dont elles attendent le retour est mort.
Affamé, les deux femmes nourrissent Hashi (l'acteur Kei Satō) qui
très vite tente de séduire l'épouse de son ami disparu sur le
champ de bataille. De retour dans propre hutte, il attend avec
impatience que la jeune femme accepte de venir le rejoindre le soir,
lorsque sa belle-mère s'est endormie...
Réalisé par le cinéaste
japonais Kaneto Shindô, Onibaba, les tueuses
est un grand classique du cinéma nippon. Un chef-d’œuvre
intemporel s'inscrivant dans un contexte historique ainsi que dans le
folklore japonais. Équivalent au cinéma expressionniste allemand,
le long-métrage fait figure de véritable classique de la
dramaturgie du théâtre Nô dans lequel les expressions du visage et
la gestuelle des interprètes prennent une place prépondérante sur
la parole. Réalisé dans un superbe noir et blanc, ce drame
historique à la lisière du fantastique et de l'épouvante attire
l’œil dès le départ grâce à son cadre et son ambiance très
particulière. Ce puits, déjà, où les deux femmes jettent leurs
victimes et qui figure peut-être et même sans doute, une porte
donnant directement sur les Enfers. Le cauchemar qu'imprime le
réalisateur à la pellicule se lit à travers ce retour à la
sauvagerie, cette absence de morale et de conscience quand vient la
nécessité de tuer pour survivre. Mais plus sûrement encore sur le
visage des interprètes féminines que son Nobuko Otowa et Jitsuko
Yoshimura. Qui dans les rôle de la belle-mère et de la belle-fille
sont l'incarnation respective du mal et de la lubricité...
Kaneto
Shindô réalise une œuvre moite, sauvage, érotique et morbide
situant son action au beau milieu d'un champ de roseaux étouffant.
Si la caractérisation des ''héroïnes'' est simpliste, tout ou
presque de leurs humeurs, de leurs envies et plus globalement de leur
perversion se lit directement dans leurs yeux. Deux portraits aidés
en cela par une surabondance d'expressions faciales que subliment les
éclairages ainsi que la superbe photographie de Kiyomi Kuroda.
Musique tribale et guerrière signée du compositeur Hikaru Hayashi,
scénario implacable écrit par Kaneto Shindô lui-même, mise en
scène et interprétation au cordeau, Onibaba,
les tueuses sent
littéralement le désir et la mort. Les jeux d'ombres et de lumières
permettent d'observer le comportement ambigu des personnages. Le
champ et le feuillage des roseaux se referment sur les protagonistes
tels des milliers de lames de sabres les retenant prisonniers. Kaneto
Shindô filme ses personnages courant dans les champs lors de
somptueux travelling latéraux. Nobuko Otowa, Jitsuko Yoshimura et
Kei Satō incarnent des créatures fantastiques au sens propre comme
au figuré dans des postures théâtrales idéales dans ce genre de
conte macabre. Si rien ne semble aujourd'hui plus éloigné de nous
que le contexte historique et géographique du récit, il y a des
mœurs qui révèlent la nature profonde de l'Homme et ce, quelle que
soit son époque. Tout en accusant les cinquante-sept ans
d'existence, Onibaba, les tueuses demeure
révélateur des bas instincts de l'humanité... Indispensable...
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