Après avoir accompagné
l'acteur Klaus Kinski et le réalisateur Werner Herzog dans les
aventures du personnage de Cobra Verde dans
le film du même nom, quoi de plus indispensable que de poursuivre
cette exceptionnelle expérience en y ajoutant juste derrière,
l'excellent documentaire du réalisateur et photographe suisse Steff
Gruber ? Bien avant tout le monde, ce dernier crée le premier
fournisseur d'accès à internet suisse, Cultnet
au tout début des années quatre-vingt.
C'est lors du tournage de son documentaire-fiction Fetish
& Dreams en
1982 qu'il fait la connaissance de Werner Herzog avec lequel il
collaborera cinq ans plus tard pour donner vie à Location
Africa,
un documentaire exclusivement consacré aux coulisses du tournage de
Cobra Verde.
Le formidable témoignage d'une amitié compliquée entre deux
hommes, le réalisateur et Klaus Kinski qu'il engagea là pour la
cinquième et dernière occasion. Des coulisses à ciel ouvert
puisque le documentaire est entièrement tourné au Ghana et
s'intéresse en fait surtout à l'une des pièces maîtresses du
long-métrage : la séquence d'entraînement d'un millier de
figurants de sexe féminin, toutes leurs représentantes incarnant
alors les centaines de guerrières amazones qui aux côtés de Cobra
Verde auront la charge de défaire l'autorité du roi du Dahomey. La
voix-off de Steff Gruber nous explique le cheminement qui l'a amené
à tourner avec sa propre caméra ce documentaire. Une caméra portée
à l 'épaule par l'un de ses collaborateurs puisque lui-même
apparaît à diverses reprises devant l'objectif.
Une
attitude qui pourra parfois paraître sinon envahissante, du moins
étonnante lorsque l'on prend en compte le fait que le projet tourne
tout d'abord autour de ses deux vedettes et du film qu'ils ont la
lourde tâche de mener à bien... ''Ils'' puisque comme le veut la
légende et comme le confirment les images, Klaus Kinski se voit une
fois n'est pas coutume comme le prophète à la place du prophète.
S'insinuant un peu trop souvent dans la tâche qui incombe en vérité
à Werner Herzog, l'acteur veut décider de tout. Et pas seulement en
ce qui concerne sa propre direction d'acteur mais concernant
également la manière de filmer. De placer la caméra à tel ou tel
endroit. Bizarre d'ailleurs. Car si dans certaines circonstances
Klaus Kinski se veut au premier plan de l'image comme la star qu'il
revendique être, il laisse parfois tout latitude pour que soient
filmées en priorité ces dizaines, ces centaines de figurantes à la
peau couleur d'ébène. Ces dernières, justement. Que Steff Gruber
filme et questionne à intervalles réguliers. Leur demandant à tour
de rôle ce qu'elles pensent du tournage, livrant pour certaines leur
rêve illusoire de devenir des stars de cinéma. Avec sa technique
toute particulière de filmer, on découvre un Werner Herzog otage de
promesses que la production ne semble pas prête à tenir. Une
question d'argent bien entendu, qui mènera un millier de figurantes
à menacer le réalisateur de refuser de porter leur costume et
d'arrêter de tourner l'indispensable séquence d'entraînement des
amazones s'il n'accepte pas de leur accorder le double de ce que la
production (qui avait tout d'abord décidé de couper la poire en
deux) leur avait promis...
Mais
un documentaire avec au centre le charismatique interprète allemand
ne pouvait en être véritablement un que si on pouvait le voir
entrer dans ses légendaires colères. Pour des raisons parfois
futiles, cet éternel besoin de reconnaissance qui s'exprime tantôt
de manière inquiétante, tantôt de façon infantilisante. D'une
durée dépassant à peine les soixante minutes, Location
Africa est
un documentaire fascinant qui témoigne d'abord des difficultés
rencontrées par un cinéaste pourtant rompu à la chose (on sait les
expériences passées d'Aguirre, la colère de
Dieu
et de Fitzcarraldo
ô combien éprouvantes), humaniste (puisqu'il prend sur lui de
promettre aux figurantes qu'elles toucheront bien l'argent exigé),
patient (il faut voir le temps qu'il passe à tenter de faire
comprendre à Klaus Kinski ses choix artistiques, au détriment,
parfois, de figurants qui perdent patience à brûler sous
l'implacable soleil) et très libre dans sa conception du cinéma. Un
Werner Herzog que l'on aurait sans doute aimé voir plus souvent à
l'image. Seul petit défaut d'un documentaire que tout fan de
l'acteur et (ou) du réalisateur se doit d'avoir vu au moins une fois
dans sa vie de cinéphile...
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