En 1976, dans le rôle de
Trelkovsky, le réalisateur et acteur Roman Polanski se posait cette
épineuse question dans Le Locataire : ''On me
coupe la tête... qu'est-ce que j'dis ? Moi et ma tête ou moi
et mon corps ?''. Sept ans
auparavant dans Change of Mind
de Robert Stevens, un
journaliste posait cette autre question au chirurgien qui venait de
greffer dans le crâne d'un homme de couleur, le cerveau d'un blanc :
'' Qu'est-il maintenant ? Un homme blanc dans un corps
de noir ? Ou un homme noir avec un cerveau de blanc ?''
Si la réponse semble complexe, le cerveau étant le centre de la
conscience et l'organe central du corps humain sans lequel rien ne
peut fonctionner, elle est sans doute plus simple qu'elle n'en a
l'air. Avant The Incredible 2-Headed Transplant
de Anthony M. Lanza en 1971 et The Thing with Two Heads
de Lee Frost l'année suivante, deux films de blaxploitation
dans lesquels le concept se radicalisait puisque dans le premier, la
tête d'un homme de couleur était greffée conjointement à celle
d'un blanc tandis que dans le second, il s'agissait de l'inverse.
Pire, dans l’œuvre de Lee Frost, la tête greffée n'était autre
que celle de Maxwell Kirshner (interprété par l'acteur Ray
Milland), un scientifique xénophobe opéré en urgence. Je vous
laisse deviner sa réaction à son réveil...
Change of Mind
est un cas à part dans le cinéma américain des années
soixante-dix. Car s'il est moins connu que d'autres films de
Bloixploitation,
ce courant cinématographique dont le ''projet'' était de
reconsidérer l'image des afro-américains, il demeure peut-être
pourtant l'un des plus importants de sa catégorie, pièce maîtresse
de la cause noire d'un point de vue culturel et social. Car au delà
du simple aspect fantastique que revêt le récit (cinquante-deux ans
après, la greffe du cerveau n'est toujours pas à la portée de la
médecine et des neurochirurgiens), le message y est peut-être plus
fort que dans n'importe quelle autre circonstance. Nous sommes en
1969 et cela fait cinq ans maintenant que la fin de la ségrégation
raciale a été officiellement instaurée aux États-Unis grâce à
l'adoption de plusieurs lois fédérales dont le
Civil Rights Act signé
cette année là. Si de part son statut de film de Blaxploitation,
il était couru d'avance de penser que l'on puisse envisager au
centre du récit de Change of Mind,
un cerveau de noir dans un corps de blanc, cela n'est que pour
d'évidentes raisons. Le long-métrage de Robert Stevens exploite les
rapports quotidiens parfois difficiles qu'entretient une certaine
frange de la population noire du pays (qu'elle soit plus ou moins
importante) avec le peuple blanc. Plutôt que de tomber dans la
facilité en exploitant d'un côté l'homme noir et ses difficultés
d'intégration et de l'autre l'homme blanc, forcément raciste, le
réalisateur permet à tous les types d'individus de prendre la
parole quelle que soit la couleur de leur peau...
De
Leslie Nielsen, acteur bien connu même dans nos contrées puisqu'il
interpréta notamment le personnage du lieutenant Frank Drebin dans
la série de longs-métrages Y a-t-il un Flic
pour Sauver...
initiée dans la seconde moitié des années quatre-vingt par le
producteur et réalisateur David Zucker. Dans le cas présent, il
interprète celui du Shérif raciste et corrompu, Gene Webb. Susan
Oliver incarne le personnage de Margaret Rowe, qui n'est autre que
l'épouse du héros opéré du cerveau au début du film. En mettant
face au personnage de David Rowe (l'acteur Raymond St. Jacques) son
épouse, sa mère, ses amis ou ses relations professionnelles, le
réalisateur permet différentes grilles de lectures, toutes plus
réalistes les unes que les autres quand bien même le sujet puisse
être à priori farfelu. Contrairement à The
Incredible 2-Headed Transplant et
The Thing with Two Heads dont
le ton était plus ou moins volontairement humoristique, Change
of Mind
pose de vraies questions, qui poussent inévitablement à la
réflexion. Les relents de racismes qui se dégagent de certains
protagonistes, antagonistes dirons-nous, font face à des
comportement qui, certes ne s'avèrent pas moins méprisables, mais
qui entrent souvent dans une certaine logique. À la seconde question
posée plus haut, le film tente d'y répondre de deux façons :
le principal intéressé évoque l'implantation d'un cerveau dans le
corps d'un robot, justifiant ainsi la supériorité du premier sur le
second. Du cerveau sur le corps. Plus loin, un politique affirme à
David Rowe que pour un blanc, il est noir et que pour un noir, il
n'est qu'un monstre de foire. Ce que tenterait par la suite de
confirmer cette fois-ci un homme de couleur qui rejette alors l'idée
que l'opéré puisse faire partie de sa communauté. On l'aura
compris, Change of Mind juge
moins une certaine catégorie d'individus que l'humanité toute
entière. Et c'est sans doute en cela que le film fait réfléchir
tout en apaisant les esprits frondeurs. Aujourd'hui, Change
of Mind
conserve toute la force de son propos même si le message a des
chances de prendre de nouvelles direction dans l'esprit de ses
contemporains. L’œuvre de Robert Stevens est une excellente
expérience qui ne l'empêche pas d'être relativement divertissant.
Nous plongeant dans les États-Unis de la fin des années soixante et
accompagnée d'une excellente musique signée de Duke Ellington.Un
Blaxploitation que
tout fan du genre se doit de connaître...
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