On pourrait réduire la
carrière du réalisateur japonais Shinya Tsukamoto à ce seul fait
d'arme qu'est Tetsuo.
Ce long-métrage datant de 1989 y concentrait déjà toutes les
obsessions de l'auteur de Hiruko the Goblin,
de Gemini
ou de Tokyo Fist.
Une certaine fascination pour le corps humain. Une barbarisation de
la mise en scène. Une approche épileptique du montage. Une
tentative expérimentale du septième art. Si après Tetsuo,
tout paraîtra faussement plus limpide derrière ce film-monstre à
l'écriture plus complexe que dans le futur, monument labyrinthique,
anarchique, industriel et cyberpunk, c'est parce qu'avec ce film
culte, Shinia Tsukamoto nous a balancé en pleine poire une œuvre
cataclysmique aux conséquences aussi rudes qu'une explosion
nucléaire dont les retombées agissent à l'issue d'une projection
délicate. Voire étouffante et d'une manière générale,
inconfortable dont les codes demeurent une énigme même lorsque l'on
y revient une fois la filmo toute entière du cinéaste digérée.
Assez
peu bavard (à peine soixante-dix lignes de dialogue pour un peu plus
d'une heure et sept minutes de métrage), ce premier volet de ce qui
deviendra avec le temps une trilogie dissémine à quelques
encablures des éléments qui laissent envisager que le film n'a pas
été formé autour d'un script brouillon mais qu'il a été en
réalité mûrement pensé par le réalisateur japonais. Deux phrases
en effet, successivement prononcées par l'actrice Nobu Kanaoka dont
le personnage, comme les autres, demeurera anonyme, semblent
expliquer les implications d'un scénario vouant un culte à
l'hybridation de la chair et du métal. À tel point que l'on a
parfois l'impression d'assister à une version déformée de
l'incroyable Crash
que le canadien David Cronenberg réalisera sept ans plus tard. Et
pourquoi ne pas envisager Tetsuo
comme une relecture du roman original du britannique J. G. Ballard,
Crash !, dont
certaines circonvolutions sont similaires ?
Mais
revenons sur les dites phrases qui aiguillent quelque peu des spectateurs aussi perdus que le héros de Tetsuo l'est dans un amalgame de
ferraille s'accumulant grâce au pouvoir électromagnétique des
quelques métaux qui maintenant font partie intégrante de son
organisme : ''Tu
sais, depuis ce jour... je me sens très étrange.''
et ''Depuis
l'accident et le délit de fuite...''.
En une poignée de mots, Shinya Tsukamoto semble justifier le
spectacle gorissime auquel le spectateur va assister. Surtout, il
donne à réfléchir sur son contenu. Deux phrases primordiales qui
aident à une certaine compréhension même si la folie latente du
cinéaste fini par l'emporter et noyer le spectateur dans un
tourbillon de visions qui ne cesseront jamais de l'interroger sans
pour autant lui offrir la moindre explication. Son statut de film
culte, Tetsuo
ne l'a pas volé. Qu'il s'agisse de la mise en scène survoltée, de
ses déplacements de caméra syncopés proches de ceux d'un autre
phénomène cinématographique (le court-métrage Gisèle
Kérozène
de Jan Kounen) ''curieusement'' réalisé la même année...
Qu'il
s'agisse également du montage ultra-cut, de son ahurissante
interprétation ou de sa bande-son industrielle signée du
compositeur Chū Ishikawa, Tetsuo
est une expérience viscérale qui n'a que peu d'équivalent d'où,
peut-être, sa réputation d’œuvre séminale et référentielle du
cinéma cyberpunk. Que l'on aime ou non, que l'on rejette en bloc ou
que l'on adhère au mystère qui entoure cette œuvre, il est
difficile de lui faire des reproches concernant le travail abattu par
Shinya Tsukamoto. Responsable de la plupart des fonctions sur le
tournage, le réalisateur laissa tout de même à Kei Fujiwara, le
soin de concevoir les costumes. Laissez-vous happer par l'univers du
japonais, par ses visions outrancières, son gore en noir et blanc,
sa stop-motion de folie et par ses dialogues éructés. Que l'on
accepte le procédé ou non, on n'en sort pas indemne, essoré que
l'on est à avoir autant apprécié que subit cette œuvre digne de
trôner aux côtés du Eraserhead
de David Lynch...
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