Délicieusement morbide,
formidablement beau, hommage stupéfiant à la femme, à l'amour.
C'est peut-être ainsi que l'on pourrait décrire A Snake of
June.
Cet objet filmique non identifié. Cette décadence hyper-sexuée
issue de l'imaginaire de Shinya Tsukamato, l'auteur du cultissime
Tetsuo
et de ses deux séquelles. D'ailleurs, dans cette nouvelle
proposition où se mêlent voyeurisme, fascination pour le corps de
la femme, maladie, exhibition et infidélité, la représentation du
sexe masculin y est proche de la mutation organico-métallique dont
était victime le héros du film cyberpunk réalisé par le japonais
treize ans auparavant. Comme un ersatz... ou peut-être comme la
seule expression qui puisse être faite d'un mécanisme mu par le
seul instinct de procréation chez l'homme et servant d'arme dans le
cas présent lors d'un duel entre individus de sexe masculin. Mais
Shinya Tsukamoto ne faisant rien comme les autres, aucun des
personnages qui évoluent dans A Snake of June ne
cherche à corrompre la relation qu'il entretient avec l'autre. C'est
sans doute ce qui fait l'originalité et la force de ce long-métrage
qui n'excède pas les soixante-dix sept minutes et qui condense
pourtant un flot de thématiques directement liées au couple.
Passionnelle et parfois ingrate, l’œuvre du japonais explore
divers sentiments pouvant aller de la fascination, jusqu'au rejet, en
passant par l'excitation. Car tout aussi érotique soit-il
A Snake of June,
aborde la sexualité sous un angle peu commun qui pourra déranger
les non-initiés...
La
plastique superbe de l'actrice Asuka Kurosawa, ses gémissements et
ses différentes postures ne justifiant pas à eux seuls la montée
de sève et de température du spectateur, la forte teneur érotique
qui se dégage de la plupart des séquences sert d'alibi et peut-être
même dans certains cas, d'exutoire. Ou comment légitimer cet état
de fièvre dans lequel nous plonge A Snake of
June alors
même qu'il aborde des sujets que l'on aurait plus souvent tendance à
mettre sur le compte de la perversité. Dans un noir et blanc qui n'a
rien de vraiment somptueux, la jeune Rinko Tatsumi est standardiste
et répond aux âmes en peine au bord du suicide. C'est en sauvant la
vie de l'une d'elle, un certain Iguchi qu'interprète lui-même
Shinya Tsukamoto, que ce dernier décide à son tour de venir en aide
à la jeune femme. Toute la subtilité du script provient du fait que
le spectateur croit d'abord assister à un jeu dont le seul intérêt
est de nourrir la perversité de l'interlocuteur de Rinko. Une
impression cultivée lors d'une grande partie du long-métrage par
une Asuka Kurosawa habitée par son personnage et par les
instructions qu'elle reçoit par courrier et par téléphone de la
part de Iguchi. D'où des séquences tantôt inconfortables,
tantôt... ''appétissantes''...
Sous
une pluie artificielle constante accentuant le propos du film, la
caméra de Shinya Tsukamoto scrute le décor comme autant de
représentations du sexe féminin. Comme cette ouverture parfaitement
cylindrique dans le plafond de l'appartement de l'héroïne évoquant
un vagin béant et dégoulinant d'eau de pluie. Face à cette
iconisation du sexe de la femme, le japonais oppose une dramatisation
des relations entre le mari et son épouse. Alors que Shigehiko
(l'acteur Yuji Kohtari) occupe son temps libre à nettoyer de manière
obsessionnelle l'émail et les inox de leur appartement, justifiant
ainsi le peu de temps qu'il a à accorder à son épouse, Rinko se
découvre des plaisirs solitaires à défaut d'en avoir avec son
mari. C'est là qu'intervient alors le personnage de Iguchi perçu
tout d'abord comme un voyeur pervers avant que ne nous soit révélée
la cruelle vérité que je tairai donc ici pour ne rien dévoiler de
crucial. D'une œuvre quelque peu bestiale,
A Snake of June se
transforme en un drame absolument bouleversant pour se terminer en
une quête de rédemption. Le dixième long-métrage de Shinya
Tsukamoto véhicule un message particulièrement fort, ponctué de
visions sinon délirantes (on a vu bien plus singulier chez le
japonais avant cela), du moins peu communes. Une manière toute
particulière de rendre hommage à la femme et à son corps. Comme
souvent chez le Japonais, on sort de la projection désorienté. Un
signe qui ne trompe pas et qui place
immédiatement
A Snake of June
au panthéon du cinéma expérimental asiatique. Un must... !
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