La Belle Noiseuse,
c'est d'abord l'aboutissement d'une vie toute entière consacrée à
la peinture. À une œuvre jamais achevée, abandonnée dix ans en
arrière par un artiste qui depuis n'a plus touché un seul pinceau.
Mais il faut surtout le savoir, c'était avant de devenir un
long-métrage fleuve long de presque quatre heures, une nouvelle de
l'écrivain français Honoré de Balzac publiée pour la première
fois en août 1831 sous le titre Maître
Frenhofer
mais depuis connue sous celui de Le
Chef-d'œuvre Inconnu.
D'abord sorti sous le titre Divertimento
dans une version écourtée longue de cent-vingt cinq minutes, le
quatorzième long-métrage du cinéaste français Jacques Rivette est
une œuvre passionnante sur l'art créatif dans lequel interviennent
des concepts sans doute restés inédits pour l'amateur non-averti en
matière de peinture : de l'absence totale de compassion de
l'artiste pour son modèle, ou de la contrition de ce dernier pour celui
auquel il se met à nu. Si le peintre essaie de s'extraire de l'abîme
intellectuel dans lequel il est plongé depuis qu'il a cessé toute
activité, le modèle, lui, est assujetti aux desiderata de l'artiste
auquel il voue son corps au mépris de la douleur physique.
Pour
incarner le rôle du peintre Édouard Frenhofer, le cinéaste
convoque un monstre d'interprète en la personne de Michel Piccoli.
Emmanelle Béart, quant à elle, incarne le modèle, la belle et
fragile Marianne. D'un côté l'une des plus grandes stars masculines
du cinéma français et de l'autre, une ''débutante'' qui n'a
jusqu'à présent (nous sommes en 1991), interprété qu'une dizaine
de rôles au cinéma dont l'un des personnages centraux du
formidable Manon des Sources
de Claude Berri cinq ans auparavant. La Belle
Noiseuse
est également parcouru par les présences de David Bursztein dans
le rôle de Nicolas, le petit ami de Marianne qui était déjà
présent dans la nouvelle d'Honoré de Balzac, et surtout de Jane
Birkin dont le naturel et la présence hantent les merveilleux décors
du film, et notamment le château de Assas dans le
Languedoc-Roussillon qui sert de cadre principal au récit.
Datant
du dix-huitième siècle, il fut bâtit sur les vestiges d'un château
féodal et fut une ancienne seigneurie languedocienne. Chaque plan ou
presque est l'occasion pour le spectateur de s'immerger dans un
espace érigé de pierre taillées à la main, de plafonds hauts
comme deux hommes. Les cigales chantent et le soleil brille tandis
que l'artiste et son modèle s'enferment et s'isolent dans l'atelier de peinture plusieurs jours durant pour
donner naissance à la Belle Noiseuse du titre. Si quelques courtes
séquences laissent supposer que Michel Piccoli pourrait être celui
qui tient durant des heures plumes et pinceaux, cette main qui
d'abord s'exerce dans des cahiers à dessins puis sur de grandes
toiles, est en réalité celle du peintre et photographe Bernard
Dufour, mort à l'âge de quatre-vingt treize ans en 2016 et connu
pour sa représentation de femmes particulièrement sexuées.
Le
concept est au demeurant fort particulier, mais son efficacité reste
sidérante. Encore faut-il être en mesure d'en accepter les
préceptes : car ici, plus que les mots, ce sont les gestes qui
prévalent. Si les échanges verbaux n'ont pas tout à fait été
omis de l’œuvre de Jacques Rivette, ils sont cependant bien maigres
face aux longues séances tournées dans l'intimité d'une ancienne
grange transformée en atelier de peinture. Si les deux héros de
cette histoire, chacun à leur manière, sont mis à nu, c'est
pourtant celle qui incarne Marianne qui fera preuve d'un courage
exemplaire en acceptant de tourner intégralement nue lors de
nombreuses scènes de poses durant lesquelles, l'intégrité physique
de Marianne est mise à mal par un artiste sourd à sa douleur. Objet
de fascination ou de rejet (il faut pouvoir encaisser les quatre
heures de la version intégrale), La Belle
Noiseuse est
une œuvre hypnotique qui envoûte les sens. Remarquablement
interprété et d'une saveur organique et intellectuelles inédites,
le film de Jacques Rivette méritait amplement les prix qu'il
remporta, et notamment celui du jury au festival de Cannes de l'année
1991...
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