Le Septième
Continent (Der siebente Kontinent) est le
premier long-métrage du cinéaste autrichien Michael Haneke à être
sorti sur les écrans en 1989. Lui qui consacra jusque là sa
carrière au petit écran (une dizaine de téléfilms entre 1974 et
1997) posait donc cette année là, la première pierre d'une
filmographie hors-normes. Déjà, tout Haneke est dans Le
Septième Continent.
Tous les tics de l'auteur de Funny Games,
de Caché,
ou du dernier Happy End
sont déjà là : Cette manière si particulière de filmer son
prochain. Clinique, austère, maussade, avec l'enjeu de montrer de la
manière la plus réaliste possible le sort qu'il accorde à quelques
familles plus ou moins aisées. Pour cette première tentative qui
date maintenant de trente ans, tout le génie du cinéaste transpire
déjà. Cette incroyable faculté qu'a Michael Haneke de décrire la
lente implosion d'un couple, emportant avec lui dans cet inexorable
(et pourtant très exactement calculé) naufrage, leur propre gamine
âgée d'un peu moins d'une dizaine d'années. Œuvre en trois actes
qui couvrent chacun une année (entre 1987 et 1989), Le
Septième Continent
semble
d'abord faire référence à ce long voyage que Georg et Anna
s'apprêtent à entreprendre avec ou sans leur fille (la décision,
le couple la prendra après avoir assisté à une cantate sous
l'initiative des parents de Georg) en Australie dont une affiche
particulièrement dépaysante vante les mérites avant de prendre
vie. Mais l'on comprendra vraiment l'erreur soulignée par le titre
qui indique un septième continent qui à l'époque n'est encore
connu de personne (Michael Haneke serait-il un visionnaire?), comme
étant un voyage vers l'oubli, la destruction et la mort.
Celle
programmées de Georg, Anna et Eva, donc, que ses parents ont
finalement choisi d'emporter avec eux. Sans l'évoquer vraiment à
grands renforts de lignes explicatives, Michael Haneke sème
cependant des indices qui laissent présager le pire : alors que
la vie de ses trois principaux interprètes (le film est
particulièrement avare en seconds rôles) est régie par des actes
répétés (repas à trois, travail, école, prières avant de
s'endormir, actes sexuels, etc...), l'autrichien laisse infuser un
certain malaise comme il en a déjà le secret à l'époque. Souvent,
il filme ses personnages dans un cadre si étriqué qu'il en
''oublierait'' presque de leur offrir une identité visuelle. Ce
choix artistique étonnant ayant sans doute une signification, on
pourra ou pas y voir la volonté pour Michael Haneke de montrer le
quotidien de bon nombre de familles autrichiennes. Comme un livre de
collage ou serait proposé à son propriétaire de remplacer les
corps sans tête des personnages par celles de son choix. Ici, le
spectateur est donc invité à se soustraire aux personnages afin de
prendre la place de tel ou tel autre. Que faire alors lorsque les
conditions sont réunies pour que ce quotidien morose qui nous est
présenté n'ait d'autre alternative que celle de mettre fin à ses
jours ?
Pour
ce premier volet de la ''Trilogie de la Glaciation Émotionnelle'',
Michael Haneke signe l'une de ses œuvres les plus fortes et les plus
fondamentalement évocatrices. Chaque acte servant à décrire les
différents processus menant au suicide. Si lors du premier acte
Michael Haneke nous convie à découvrir la vie plus qu'austère de
cette petite famille, le second met en place tout un dispositif pour
préparer Georg, Anna et Eva à quitter leur existence pour ce
septième continent évocateur. Le troisième, forcément le plus
dramatique de tous, démontre cet acharnement des trois membres de la
famille (la pauvre petite Eva étant mise à contribution) à
détruire tout ce qu'ils possèdent : photos, meubles,
vêtements, chaque objet, chaque pièce est méticuleusement réduit
en poussière. Une action méthodique aux répercussions que l'on
devine dramatique sur leurs proches mais que le cinéaste se gardera
de nous montrer. Sans pouvoir agir sur le sort qu'accorde le cinéaste
à ses personnages, le spectateur est le témoin troublé d'une
affliction qui n'a d'explication que dans les images et non dans des
dialogues qui se veulent parfois volontairement stériles.
Bouleversant, Le Septième Continent
est d''une efficacité redoutable mais laissera sans doute certains
spectateurs aux portes de l'incompréhension. Dès son premier
long-métrage, Michael Haneke imprime ce qui sera sa marque de
fabrique et signe d'ors et déjà l'un de ses plus grands film. Quant
à Dieter Berner, Birgit Doll et Leni Tanzer, ils incarnent à
merveille les membres de cette famille autodestructrice. Un film choc !
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