Ceux qui voudraient se
lancer pour la première fois dans l'univers froid, tortueux et
austère du cinéaste autrichien Michael Haneke risquent d'être
désabusés, du moins, déboussolés devant cet exercice de style
dont le but premier ne semble pas tant de vouloir divertir son
auditoire que de décrire la lente implosion du cercle familial à
travers cette impossibilité de communiquer entre membres d'une même
famille et l'individualisation contrainte et forcée de chacun
motivée par l'utilisation des technologies les plus récentes. Ça
n'est donc pas un hasard si le cinéaste ouvre les hostilités en
observant une femme filmée à l'aide d'un téléphone mobile et
agissant visiblement sur ordre de celui qui la filme. Rien que cette
mise en forme annonciatrice de l'approche future de ce Happy
End
indéniablement ascétique et dénué de toute notion de
divertissement, est en soit une idée absolument fabuleuse si Michael
Haneke avait pour autant pris la décision de la pratiquer durant les
cent minutes qui suivirent. Sauf que pour le confort du spectateur,
ou plus simplement pour aborder son film sous un angle visuellement
moins étriqué, l'image passe de ce cadre étroit à un format plus
conventionnel. Ce qui ne sera pas le cas du récit qui de son ampleur
dramatique formellement sinistre, ressemblerait presque à du cinéma
d'auteur façon ''pièce de théâtre'' expérimentale.
Du
moins est-ce la vision que pourrait avoir le néophyte
puisque l'amateur qui découvrit il y a longtemps Michael Haneke
notamment à travers sa trilogie de la ''Glaciation Émotionnelle''
ou ses quelques fulgurants et traumatisants longs-métrages que sont,
par exemple, le Funny Games
de 1997, La Pianiste
ou Caché,
risque lui, de vivre cette nouvelle expérience du domaine du cercle
familial bourgeois se détruisant de l'intérieur, sans doute pas
sans éprouver le moindre inconfort, mais au moins, dans un bien-être
relatif. Si le récit paraît parfois insignifiant et sans âme,
c'est dans le détail que percevra le spectateur chanceux ces éclairs
de génie où réside tout l'intérêt du dernier long-métrage du
cinéaste autrichien. Filmés de près, de loin, avec ou sans le
soucis de rendre perceptibles les dialogues, Michael Haneke filme
tour à tour les membres d'une famille aisée qui ne semble avoir de
parfaite que l'apparence. À titre d'exemple, Michael Haneke insiste
parfois sur la position prise par les domestiques d'origine
maghrébine travaillant au service de la famille Laurent. Manière de
courber l'échine, de demeurer immobile dans l'attente des ordres
attendus de la mère de famille incarnée par Isabelle Huppert...
difficile de ne pas se sentir coupable devant ce couple incarné par
Nabiha Akkari et Hassan Ghancy, victimes de l'indifférence d'un
patriarche incarné par un Jean-Louis Trintignant amaigri et que l'on
sait atteint d'un cancer. Pour autant faut-il s'émouvoir devant ce
personnage peu enclin à la sympathie qu'incarne cet immense acteur ?
Devant lequel on s'abaisse à arborer le visage de l'hypocrisie ?
Qui dessine le portrait d'un vieil homme se sachant malade et se
croyant investi du droit de mépriser les gens qu'il juge médiocres
ou inférieurs ?
Et
que penser de l'acteur et danseur allemand Franz Rogowski qui incarne
le fils Pierre, frondeur et opposé à la hiérarchisation des
classes ? Michael Haneke n'est décidément pas prêt à déposer
les armes et chaque personnage est une bombe en puissance que le
cinéaste ne tente même pas de désamorcer. De plus, et même si
cela n'est pas forcément visible, l'autrichien fait preuve d'un
cynisme effroyable jusque dans le titre même de son dernier
long-métrage. À moins qu'il ne faille voir dans cette conclusion en
forme de cure euthanasique, sa manière à lui de régler les
problèmes intestinaux qui minent de l'intérieur sa famille de
bourgeois ? Pour son dernier long-métrage, Michael Haneke signe
un nouvel uppercut qui ravira les fans et laissera sans doute encore
circonspects les détracteurs de son style si particulier. À voir,
absolument...
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