Pour son avant-dernier
long-métrage, l'auteur des Enfants du Placard en 1977,
du Septième Ciel en 1987 ou de Trois Cœurs
en 2014, le cinéaste français Benoît Jacquot, réalise une œuvre
trouble, troublante... et troublée par des personnages ambigus à
l'existence personnelle plus ou moins complexe. Le cinéaste français
aborde son œuvre sous différents aspects. En adaptant le roman
éponyme de l'écrivain britannique James Hadley Chase en compagnie
du scénariste Gilles Taurand, le réalisateur décompose en divers
actes la relation étrange que cultivent ses deux principaux
protagonistes. D'un côté, Bertrand Valade, qu'incarne à merveille
l'acteur Gaspard Ulliel, et de l'autre, l'actrice Isabelle Huppert,
qui interprète le rôle-titre, celui d'Eva, cette femme mystérieuse
et froide dont le spectateur se fera forcément très vite une
opinion avant de découvrir les véritables motifs qui la poussent à
mener une vie de prostituée de luxe.
Alors que je chroniquais
récemment le film d'épouvante Greta
du cinéaste irlandais Neil Jordan qu'interprétait déjà Isabelle
Huppert, le réalisateur français choisit d'aborder son film sous un
angle finalement beaucoup plus dérangeant. Coutumière des ambiances
pesantes et nauséeuses (La Pianiste
de Michael Haneke), Isabelle Huppert est ici formidable. Au même
titre que son partenaire, elle porte le film de Benoît Jacquot aux
nues. Aussi parfaitement caractérisés que campés, Bertrand et Eva
forment un couple fragile et curieusement romantique qui repose sur
des bases fragiles et fantasmagoriques.
D'un
côté, Gaspard Ulliel incarne un Bertrand dont la vie ne semble être
qu'un subterfuge. Après s'être emparé du manuscrit de l'un de ses
patients qui venait de mourir dans sa baignoire alors que le jeune
homme était à ses côtés, cet aide à domicile change de vie et
rencontre le succès au théâtre après s'être fait passé pour
l'auteur du texte intitulé ''Mot
de Passes''.
De l'autre, il y a Eva. Femme d'âge mûr sensuelle qui pour vivre,
se prostitue. Mariée à un homme en voyage d'affaire permanent, Eva
fait la connaissance de Bertrand le jour où, réfugié dans le
chalet de ses futurs beaux-parents, ce dernier découvre deux intrus, dont
Eva. Bertrand tombe immédiatement sous le charme de l'envoûtante
call-girl dont il va tenter de retrouver la trace. Mais alors que sa
relation avec sa fiancée Caroline se délite peu à peu et qu'il se
désintéresse de plus en plus de la tournée hexagonale de sa pièce,
Bertrand va nouer une relation étrange avec la prostituée...
Eva
est pour le réalisateur de cette seconde adaptation (après celle de
Joseph Losey cinquante-six ans auparavant en 1962), une histoire dont
les origines remontent très loin puisque dès son adolescence, le
futur réalisateur découvre l'ouvrage de James Hadley Chase et se
découvre une passion pour le cinéma. Le désir d'y œuvrer serait
donc lié au roman et son adaptation presque soixante ans après
l'avoir lu apparaît donc comme un aboutissement dans la carrière du
réalisateur qui signe alors une œuvre cinématographique qui marque
d'une empreinte indélébile la conscience des spectateurs. D'abord
parce que la réalisation y est en tout point d'une maîtrise, d'une
sophistication et d'une pureté exemplaires, mais aussi et surtout
parce que Gaspard Ulliel et Isabelle Huppert sont les incarnation
idéales de ces amants de passage particulièrement marquants. Afin de
conforter l'aspect dérangeant de cette thématique qui réserve
d'authentiques surprises, Benoît Jacquot fait appel au compositeur
français Bruno Coulais, auteur d'un grand nombre de partitions
musicales pour le cinéma et auteur fidèle pour le compte du
cinéaste français. Il œuvre ici sur un ton désenchanté et
angoissant qui parcourt le film de son intense froideur, générant
ainsi une certaine inquiétude, le spectateur entrant dans un univers
codé posant de nombreuses questions et obtenant des réponses tantôt
rassurantes, tantôt embarrassantes. Bien que Benoît Jacquot œuvre
ici dans le drame psychologique intense, il offre une version
horrifique et parfois étouffante des relations humaines et intimes.
Bien que les critiques furent généralement mitigées de la part des
critiques presse, Eva
est selon moi un très grand film. Pudique, bouleversant et
intellectuellement dévastateur. Une nouvelle date dans la prolifique
carrière de la sublime Isabelle Huppert...
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