S'il faut distinguer les
camps de concentrations des camps de la mort (les premiers furent des
centres de détention tandis que les seconds servaient de centres
d'extermination de grande ampleur), tous ont inspiré nombre de
cinéastes, qui sous la forme de fictions, qui sous celle du
documentaire ont apporté un témoignage poignant sur l'un des faits
les plus marquants de l'histoire de l'humanité. Les camps
d'extermination furent très officiellement considérés au nombre de
six : Belzec, dans le département de Lublin en Pologne, puis un
peu plus au nord, celui de Madjanek, et encore au dessus, celui de
Treblinka. Vient ensuite celui de Chelmno, situé dans le village de
Chelmno nad Nerem. À environs cinquante kilomètres à l'ouest de
Cracovie fut construit le plus grand, et malheureusement, le plus
célèbre d'entre eux : Auschwitz. Quand au Camp d'extermination
de Sobibor, il fut construit dans la région du Gouvernement général
de Pologne, proche des frontières de l'Ukraine et de la Biélorussie.
C'est en 2018 que le cinéaste russe Konstantin Khabenskiy se penche
sur l'histoire de ces hommes et de ces femmes qui tentèrent de fuir
l'un des camps dans lesquels hommes, femmes, et enfants, sans
distinction d'âges, et par centaines de milliers, furent gazés simplement parce
qu'ils étaient juifs.
Sobrement intitulé Sobibor,
ce long-métrage d'un peu moins de deux heures ne fut cependant pas
la première tentative de témoignage puisque le cinéaste français
Claude Lanzmann réalisa en 2001 le documentaire Sobibor,
14 Octobre 1943, 16 Heures.
Bien avant lui, la télévision nous offrit également le téléfilm
fleuve de Jack Gold Les Rescapés de Sobibor.
Une excellente fiction de près de trois heures relatant les
conditions de vies des prisonniers du camp d'extermination de
Sobibor, quelques semaines avant leur évasion. Une réelle réussite
magistralement interprétée par des actrices et des acteurs se
fondant littéralement dans leur personnage, que ces derniers aient
appartenu à l'occupant ou aux prisonniers. Difficile donc d'imaginer
retourner dans ce sinistre camp un peu plus de trente ans après le
téléfilm de Jack Gold inspiré par l'ouvrage de Thomas Blatt
(survivant du camp de Sobibor) et d'y espérer ressentir la même
émotion. Un projet ambitieux et périlleux que le cinéaste russe tente
pourtant de mener à bien.
Plutôt
efficace, Sobibor
souffre malgré tout de défauts rédhibitoires qui le condamnent à
n'être qu'une pâle copie des Rescapés de
Sobibor.
Bien que Konstantin Khabenskiy parvienne à créer une œuvre
crépusculaire qui joue essentiellement sur l'obscurité, la brume et
des teintes désaturées, son film souffre d'un manque de
caractérisation sans doute dû à sa durée revue à la baisse en
comparaison du téléfilm de Jack Gold qui lui, prenait le temps
qu'il fallait pour rendre ses personnages formidablement attachants.
Des personnages ayant véritablement existé, le cinéaste reprend à
son tour ceux des prisonniers russes Luka (ici incarnée par Felice
Jankel), et surtout Alexander « Sasha » Pechersky,
véritable héros de cette histoire. Un homme déchiré, qui débarque
à Sobibor après la tentative d'évasion échouée du camp de travail
de Minsk qui a fait de nombreux morts. Intellectuellement affaibli,
lui et ses hommes se retrouvent face à des prisonniers résignés
qui craignent tant pour leur existence qu'ils ont du mal à accepter
l'idée d'une évasion, doutant ainsi de la sincérité des nouveaux
venus.
Incarné par le réalisateur lui-même, ce personnage est l'un
des rares à être véritablement attachant. Du côtés des
allemands, le cinéaste n'est logiquement pas tendre avec des
officiers monstrueusement sadiques à la tête desquels nous
retrouvons un Christophe Lambert inhabituel dans le rôle de Karl
Frenzel. Un monstre de froideur tandis que ses subordonnés tuent et
humilient les prisonniers sans raison. Juste pour le plaisir.
Contrairement à Jack Gold qui avait choisi avec pudeur de ne pas
nous montrer directement le sort accordé aux prisonniers lors de la
fameuse scène de douche pourtant terriblement évocatrice,
Konstantin Khabenskiy, lui, choisit au contraire de ne rien nous
épargner lors du gazage de dizaines de femmes dont la mort assure le
spectacle d'un officier allemand derrière le regard glauque et
borgne d'une lucarne. Atteignant son paroxysme lors d'un banquet d'un
genre très particulier la veille de l'évasion du camp, l'horreur
arrive à son point culminant où le prisonnier n'est guère plus mal
traîté qu'un cheval de course lors d'une simulation de course de
chars dont plusieurs juifs, pas suffisamment rapides, sont froidement
abattus par des officiers allemands enivrés.
Esthétiquement,
Sobibor
se révèle intéressant, son auteur ayant choisi une lumière et des
couleurs qui évitent tout sentiment d'apaisement. Même lorsque les
prisonniers bénéficient de quelques heures de repos, le climat
demeure sinistre et le danger immédiat, révélé par une présence
allemande terriblement hostile. Mais n'est pas Gold, Polanski, Klimov
ou Spielberg qui veut : car quoi que la présence du film de
Konstantin Khabenskiy soit honorable, celui-ci est mineur, surtout si
on le compare aux Rescapés de Sobibor,
au Pianiste,
à Requiem pour un Massacre
ou à La Liste de Schindler...
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