Lorsque habituellement je
découvre apposé à la date de sortie d'un film le nom de la
plate-forme Netflix, il
m'arrive d'avoir parfois deux types de réactions : soit je
pense à ces quelques navrants long-métrages qu'il m'est arrivé de
suivre avec plus ou moins d'intérêt, soit je me remémore
l'agréable surprise d'avoir découvert une œuvre qui n'a pas eu les
honneurs d'une sortie sur grand écran. Apostle
(traduit chez nous sous le titre un peu naze, Le
Bon Apôtre)
m'a fait l'effet d'une gifle que l'on m'aurait administré sans même
que je m'y attende. Toujours à cause d'un titre français un peu
ronflant et ne laissant à aucun moment envisager le contenu du
dernier film de Gareth 'The
Raid'
Evans, maître es combats au corps à corps, Apostle,
aussi inenvisageable que cela puisse paraître pour une partie du
public qui ne jure sans doute que pour les films d'horreur adoubés
par la presse spécialisée ( A Quiet Place,
meilleur film d'horreur de l'année ? Laissez-moi rire), est
sans doute la perle que les plus âgés d'entre nous qui refusèrent
de se laisser initier par les sagas Saw,
Hostel
et
compagnie vont adorer...
J'ai laissé retomber le soufflet quelques heures. Mais pas trop non
plus. Juste pour être certain de ne point écrire avec l'engouement
précipité du bonhomme qui vient d'assister à une œuvre dantesque
deux plus de deux heures. Situé en un temps reculé, sur une île
lointaine, Apostle possède tout ce qu'il faut pour
construire une œuvre solide qui rappellera aux plus anciens de
formidables expériences cinématographiques ne se laissant pas avoir
par les quelques exemples cités juste au dessus et qui ne se
révèlent au final que de la poudre aux yeux. Gareth' Evans
l'a sans doute bien compris. Lui qui auparavant plongeait ses
personnages directement dans l'action sans même envisager d'écrire
plus de deux ou trois lignes de script a choisi cette fois-ci
d'instaurer une véritable trame au cœur d'une île sur laquelle
vont se jouer des intrigues multiples. Le cinéaste aurait tout aussi
bien pu choisir notre époque, et signer ainsi une œuvre sans âme
véritable. Avec Apostle il choisit tout d'abord
d'installer son intrigue dans un contexte religieux fanatique. Une
secte vouée à un Dieu dont le cinéaste semble tout d'abord vouloir
cacher l'existence pour mieux nous happer dans cette folie
(in)humaine qui va peu à peu prendre de plus en plus de place au fil
de l'histoire. Un récit qui d'ailleurs laisse de manière fort
discrète envisager la présence d'éléments fantastiques.
Incarné par un (anti)héros ayant perdu la foi, sauf envers
l’absinthe qu'il consomme comme pour apaiser la douleur des
stigmates qu'il prote gravés dans le dos, Apostle,
c'est d'abord un film à l'atmosphère unique. Tourné dans le sud du
Pays de Galles à Neath Port Talbot, le film instaure un climat
dépressif immédiat. De nombreuses scènes nocturnes mêlées à des
décors construits sur un terrain boueux, il arrive parfois à Gareth
Evans de promener sa caméra jusque dans les entrailles de la Terre
où niche une monstruosité. Du moins, l'une de celles dont le
scénario multiplie les apparences. Le cinéaste convoque le Fred
Abberline des frères Hughes (From Hell) dans un
contexte hystérique proprement hallucinant faisant parfois référence
au chef-d’œuvre de Ken Russell (The Devils). A bien
y regarder, les références s'étendent bien au delà de ces deux
exemples puisqu'en fouillant au plus profond de nos mémoires de
cinéphiles, ne retrouvons-nous pas quelque part un soupçon du
court-métrage The Grandmother que réalisa David Lynch
au tout début des années soixante-dix à travers la bête qui
sommeille sous des champs de blé fertiles ?
Œuvre policière, fantastique, flirtant parfois avec le torture-porn
durant des scènes inquisitrices parfois insoutenables, Apostle
joue non seulement avec les nerfs du spectateur mais également avec
les limites qu'il est capables d'endurer en matière de scènes
d'horreur. Sans doute pas aussi épouvantable que certaines séquences
proprement gerbantes de La Passion du Christ de Mel
Gibson, l'hystérie, contrairement au film de Ken Russell cité plus
haut y est contenue. Comme hypnotisés et incapables de faire la part
entre le bien et le mal, les adeptes de cette secte dévouée au
prophète Malcom (génial Michael Sheen), lequel a survécu en
compagnie de deux amis à un naufrage il y a des années de cela,
acceptent le sort des leurs sans même percer la psychopathie de l'un
d'entre eux. Des moutons !
Grandiloquents diront certains. Outrageusement Z osèrent d'autres.
Une pépite, en réalité. Peut-être l'un des rares films jonglant
avec intelligence entre divers genres : policier, horreur,
fantastique, drame, ne laissant jamais (ou presque) la voie au
ridicule. On pourrait même envisager Apostle comme
une œuvre à la gloire du Bien et du Mal: entre un antihéros sans
plus d'autre fois que la drogue mais conservant l'espoir de revoir sa
sœur retenue prisonnière. Un prophète que le cinéaste hésite à
rendre tout noir, ou tout blanc (à ce sujet, on ne saura jamais
vraiment si l'enlèvement de la sœur du héros et la demande de
rançon ne furent uniquement qu'à but lucratif), un Quinn
(impressionnant Mark Lewis Jones) en sociopathe redoutablement
inquiétant, et une déesse rebutante mais peut-être pas si nocive
que cela... Les ambivalences et les contradictions se donnent la
réplique dans un contexte brut de décoffrage en matière de morale
et d'applications des lois religieuses instaurées par la communauté.
Visuel austère de toute beauté, donc. Interprétation habitée.
Ambiance lourdement chargée. Séquences dantesques avec ce petit
quelque chose qui rappellera parfois l'excellente adaptation
cinématographique du jeu vidéo éponyme Silent Hill
par le réalisateur Christopher Gans. Gratuit pourront s'inquiéter
les plus frileux cachant derrière cette observation la peur de
l'inconnu qui se cache aux tréfonds de l'âme humaine. Oubliez un
moment l'hyper surévalué A Ghost Story, et le bon
mais jamais vraiment flippant A Quiet Place, deux
exemples de longs-métrages qui ne méritent certainement pas
l'engouement dont a fait preuve une certaine presse avide de citer
son comptant de références annuelles. Oubliez également The
Poughkeepsie Tapes, dont la légende surpasse très, très,
très largement ses qualités d’œuvre horrifiques (en bref, il
s'agit d'une belle merde!!!). Retenez plutôt ces trois mots :
Le Bon Apôtre. Sans doute possible l'une des œuvres
commerciales les plus 'nihiliste-ment' intelligentes de
l'année. A noter que Gareth Evans a opté pour la participation de
Aria Prayogi et Fajar Yuskemal Tamin à la composition de la bande
musicale après leur avoir confié celles de Raid 1 &
2. résultat, une ambiance pesante faites de violons
stridents et d'incantations fascinantes... Un Choc !!!
Je n'ai pas l'habitude de m'étendre sur les forums, ni en remerciements (c'est peut-être un tort...) ni en commentaires. J'en profite donc pour vous remercier une fois pour toutes d'exister :) Je lis avec beaucoup d'attention et profite souvent de votre avis éclairé. J'aime beaucoup Gareth Evans. Si j'ai aimé la froideur des "Raid", j'ai trouvé le "Merantau" empreint d'une certaine poésie, fait rarissime dans les films d'arts martiaux. Après la lecture de votre article, je vais sûrement me jeter sur cet Apostle...
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