Quarante-trois ans après
sa sortie, le cinéaste français Patrice Leconte aura pu réaliser
son rêve. Celui de réaliser le remake de l'un des plus grands films
de Julien Duvivier, Panique.
Ce long-métrage, c'est Monsieur Hire
avec dans le rôle-titre, l'acteur Michel Blanc. Et Monsieur Hire,
c'est justement le nom donné au vieil homme incarné par Michel
Simon dans l’œuvre que Julien Duvivier a adapté du roman Les
Fiançailles de Monsieur Hire pour
le grand écran en 1946. Le personnage féminin quant à lui fut
confié à l'actrice Viviane Romance qui, pour le coup porte un nom
en total décalage avec la tournure que vont prendre les événements
dans ce film faisant écho à l'un des grands classiques du cinéaste
allemand Fritz Lang qui dès 1936 et avec Spencer Tracy dans le rôle
du personnage principal de Furie,
dressait déjà le portrait d'une population avide de vengeance et
menant tout droit à l'échafaud, un homme innocent accusé d'un
enlèvement.
L'une
des principales différence opposant les deux longs-métrages demeure
dans le fait que chez Julien Duvivier, il s'agit surtout d'une
machination visant à faire accuser volontairement un innocent à la
place du véritable coupable. Et ce, en utilisant les charmes de la
jeune et jolie Alice (Viviane Romance), laquelle est la maîtresse
d'un dénommé Alfred, le responsable d'un meurtre crapuleux dont a
fait les frais une femme en possession de plusieurs milliers de
francs. Un acte criminel dicté par la seule avarice d'un individu
qui au fil de l'intrigue va se révéler de plus en plus mauvais, au
point d'utiliser celle qui l'aime afin d'échapper à la justice.
Mais
ce qui marque avant tout le spectateur dans cette effroyable
machination, c'est le sort subit par Monsieur Hire que Michel Simon
incarne à merveille. Un individu dont le seul tort véritable est de
ne ressembler à aucun de ses concitoyens. Les habitants d'un
quartier qui se connaissent tous et qui voient d'un mauvais œil ce
personnage au comportement ambigu, distant, révélant ouvertement
son antipathie envers ses congénères. Des raisons suffisantes pour
que l'on juge l'homme avant même que la moindre preuve concrète
puisse établir sa culpabilité. Alors que Julien Duvivier aurait pu
choisir de taire le nom du véritable assassin jusqu'à la fin afin
d'entretenir le suspens, le cinéaste choisit au contraire de le
livrer aux spectateurs afin de concentrer l'intrigue sur les
manigances des deux amants et sur le comportement parfois abjectes
des habitants du quartier envers Monsieur Hire.
Il
faut dire qu'à première vue, oui, Monsieur Hire ferait un coupable
idéal. Peu sympathique, ne déversant ses paroles qu'au
compte-goutte et choisissant ses interlocuteurs avec autant de
prudence, sa grande barbe et ses manières peu orthodoxes le mettent
à l'écart des autres. Des hommes et des femmes formant une étrange
communauté n'acceptant pas la différence et profitant des failles
d'un vieil homme trompé par celle dont il est tombé amoureux
(Alice). Julien Duvivier, d'une certaine manière, fait preuve d'un
immense cynisme en évoquant le fameux appareil-photo que porte au
cou le préjudiciable. Un individu qui pour le coup, est soit
stupide, soit le seul à imaginer un monde sans que la délation de
mauvaise réputation bien connue en cette époque d'après-guerre ne
serve d'issue de secours. Comment expliquer autrement que cet homme,
dont la seule véritable passion est de photographier les gens dans
leur quotidien (ce qui tendrait à nous faire croire qu'au contraire
de certains de ses propos, l'homme aime son prochain plus qu'il ne
veut l'avouer) se taise alors qu'il détient lui-même la preuve de
son innocence ?
Soixante-douze
ans après sa création, certaines des scènes de Panique
demeurent
encore presque insoutenables. Comme cette prophétique séquence des
autos-tamponneuses durant laquelle les participants s'acharnent à
foncer sur le véhicule emprunté par Monsieur Hire. Signe
avant-coureur d'une fin que l'on imagine tragique, repoussant l'homme
jusqu'au sommet du plus grand immeuble du quartier, acculé comme le
fut en son temps une célbre créature (celle du roman Frankenstein
ou le Prométhée Moderne de
Mary Shelley) fabriquée à partir de plusieurs parties de corps
humains. Julien Duvivier filme un réquisitoire contre la
dénonciation et la justice expéditive. Ce couple charmant que
forment Viviane Romance et Paul Bernard se mue en un duo de monstres
face à un Michel Simon éclatant dans le portrait d'un individu
sortant du cadre. Panique est
un indispensable bijou pour les amateurs du cinéaste en particulier
et pour les amoureux de grand cinéma en général. A savourer sans
modération...
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