Lorsque l'on remonte, à
l'envers, la filmographie du cinéaste hongrois Kornél Mundruczó,
il est étonnant de tomber sur Delta, son quatrième
long-métrage. On n'y perçoit pas encore toute l'urgence des
personnages que les spectateurs accompagneront six ans plus tard à
travers White God,
et trois années supplémentaires avec La Lune de
Jupiter.
Pas encore ancré dans un milieu urbain, le cinéaste installe le
récit de son film dans un coin du Delta du Danube, en
Roumanie. C'est là que réapparaît après de nombreuses années
Mihail, à la recherche de sa mère. Il y trouvera sa jeune sœur,
qu'il ne connaît pas. Fauna, vit donc avec leur mère, et leur
beau-père. Un individu aussi peu affable qu'aimable étouffant une
belle-fille qui n'attendait qu'une occasion comme l'arrivée de son
frère pour fuir la vieille demeure familiale. Entre Mihail et Fauna
s'installe une étrange relation, mélange d'amour fraternel et
d'attirance sexuelle. Une vue de l'esprit et du corps que
malheureusement pour le frère et la sœur, les proches ainsi que les
villageois ne sont pas prêts d'accepter...
Mihail, c'est l'acteur et
accessoirement joueur de violon et de cithare, Félix Lajkó.
Compositeur d'une partie de la bande musicale de Delta,
son personnage débarque sur les terres de son enfance comme l'un de
ces êtres étranges parcourant l’œuvre hypnotique du cinéaste
allemand Werner Herzog, Herz aus Glas.
Comme sous l'effet de psychotropes, son personnage réserve presque
exclusivement son temps de parole à sa sœur, interprétée par la
belle et frêle Orsolya Tóth. Le rapport entre le film de Kornél
Mundruczó et l'univers de Werner Herzog ne s'arrêtant pas là, on
retrouve tout ce qui fait le charme d'un cinéma qui se veut au plus
proche de la réalité, quitte à faire fuir une partie du public peu
habitué à subir un tempo aussi lent. Mais mon dieu, lorsqu'on
adhère à ce type d'approche, que la surprise est belle.
Contemplatif,
Delta l'est
assurément. Comme une carte postale qui a force d'être admirée
pendant de longues heures prendrait vie et happerait celui qui
rêverait de s'y plonger. Les silences sont ici, religieux. Presque
obséquieux. C'est à travers les regards plus qu'à travers les
paroles que le cinéaste intéresse le public à ces personnages que
l'on devinerait presque provenir d'un lointain passé s'il n'avait
pas fait l'impasse en omettant de dater les événements. Kornél
Mundruczó décrit ses deux principaux personnages comme des êtres
d'une pureté et d'une innocence rares. A tel point que cet amour
contre-nature qui les lie désormais ne peut plus être conçu comme
une simple déviance mais comme un amour vrai, sincère, et pur. Un
frère, une sœur, qui n'ont d'autre projet que de construire une
maison à eux. Une bâtisse faite de bois, construite sur le Danube.
Une représentation simple de ce que ces deux être perçoivent alors
comme l'accomplissement de leur union, mais que d'autres
s'acharneront à remettre en question. Tout ceci ne pourra évidemment
rendre que plus dur le destin tragique qu'offrira le cinéaste
hongrois à Mihail et Fauna. Déjà l'on sent percer ce désir
profond d'égratigner ses semblables. Kornél Mundruczó n'y va pas
avec des pincettes et c'est avec froideur et sans jamais le sacrifier
aux artifices qu'il condamne le frère et la sœur. À une mort
certaine. La barbarie au quotidien ne s'arrêtant pas aux frontières
séparant la ville de la campagne, le spectateur assiste alors
impuissant à l'inimaginable...
Côté
musique, outre les compositions de Félix Lajkó, on a droit au
titre On the Way
que
le groupe de rock alternatif allemand Popol Vuh composa pour la bande
originale du film Nosferatu, Phantom der Nacht
du réalisateur... Werner Herzog. Oui, une fois encore, l'ombre du
cinéaste allemand plane sur l’œuvre du hongrois lors d'une scène
assez stupéfiante se déroulant sur le Delta du Danube lors des
obsèques d'un patriarche. On peut entendre également en forme de
testament, le sublime Quatuor à cordes en ré mineur D. 810 La
Jeune Fille et la Mort
écrit par Franz Schubert en 1824. Au final, l’œuvre de Kornél
Mundruczó est un formidable message d'amour en parallèle duquel, le
cinéaste confronte la bêtise sous sa forme la plus inhumaine. Un
joyau...
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