Une plage, sur l’île
D'Yeu, à six heures de Paris. À l'écart du continent, entourée
par les eaux, cette commune française du département de la Vendée
est le refuge de Sasha et de sa fille Sioffra. Tandis que son époux
travaille dans la Capitale, la jeune anglaise occupe son temps comme
elle le peut. Entre maison et plage. Ménage et bronzage. Une prison
dorée de vingt-cinq kilomètres carré sur la surface de laquelle on
ne croise ici, pas un touriste, pas un baigneur, pas un vendeur de
glace, juste quelques types franchement louches baisant dans le
confort discret d'une épaisse forêt tapissée de brins d'herbe
desséchés. Pour tuer le temps, Sasha emporte Sioffra jusqu'à la
plage pour y profiter du soleil. Derrière elle et sa fille, se
profile une falaise et à son sommet, la silhouette d'une femme, le
dos lesté d'un sac regroupant tout ce qu'elle possède. Jetant un
regard vers le bas, elle semble épier les faits et gestes de Sacha.
En réalité, celle qui
se fera appeler Tatiana lors de sa prise de contact avec Sasha
quelques heures plus tard évalue ses chances de se rapprocher de la
mère de famille. Changement d'environnement, la caméra filme
désormais Sasha baignant Sioffra dans la baignoire de la demeure
familiale. Une maison mise à l'écart de toute forme de
civilisation. C'est là que vient frapper à la porte Tatiana. Filmée
cette fois-ci de près, l'actrice française Marina de Van se
présente sans artifices. Le cinéaste François Ozon impose un
personnage inquiétant. Mystérieux. Dans l'incapacité (ou presque)
de sourire devant une Sasha bienveillante. Une marginale. Comme ceux
croisés dans les grandes cités et qui ne présagent rien de bon. Le
regard mort, l'actrice jette un froid sur une île que François Ozon
n'avait apparemment pas l'intention d’embellir. Loin des images de
cartes postales, l’île D'Yeu perd en température. Et Sasha
d'offrir un repas à celle qui lui a quelque peu forcé la main pour
planter sa tente dans le jardin. Première marche vers une amitié
éphémère ?
François Ozon réalise
en 1997 l'un de ses derniers courts-métrages. En réalité, un
moyen-métrage puisque d'un durée dépassant les cinquante minutes.
Précédant un premier long digne du cinéma outrancier de John
Waters intitulé Sitcom, Regarde la Mer
est de ces projets cinématographiques qui dérangent tout en
apportant une réflexion sur les rapports entre individus n'ayant
rien de commun. Entre une Sasha (l'actrice anglaise Sasha Hails qui
auparavant avait déjà tourné dans le courts-métrage Une
Rose entre Nous du même François Ozon) condamnée à rester
enfermée sur son île et une Tatiana (Marina de Van donc, qui outre
sa carrière d'actrice a elle-même écrit et réalisé quelques
longs-métrages dont le troublant Dans ma Peau) poussée
par le désir de changer d'endroit tous les trois ou quatre jours,
une étrange relation s'installe. Perchée plus tôt au sommet de la
falaise, celle-ci y arbore l'inquiétante silhouette de l'oiseau de
proie fondant sur sa prochaine cible.
Regarde la Mer
offre
un spectacle dépressif que pas même le ressac et le cri des
mouettes ne parviennent à rendre attachant. Marina de Van incarne à
merveille cette marginale au teint blafard, aux jambes abîmées, et
dont le comportement laisse supposer un trait de caractère
inquiétant (la brosse à dents). François fait peu à peu monter la
sauce d'un récit qui semble ne devoir aboutir qu'à une tragédie.
Filmée tel le démon Pazuzu remarqué sous forme d'image subliminale
dans le classique de William Friedkin L'Exorciste,
Marina de Van personnifie le mal tandis qu'éclairée par la lumière
d'une lampe, Sasha reflète le bon côté de l'humanité. La main sur
le cœur, accueillant une étrangère, si bonne et généreuse
qu'aucun signe avant coureur ne viendra lui mettre la puce à
l'oreille, et certainement pas ce dernier dialogue qu'échangeront
les deux femmes avant que ne survienne ce que le spectateur, lui,
redoutait dès la première apparition de Tatiana.
Regarde la Mer est
une réussite totale. Marina de Van y est exceptionnelle. Criante de
naturel face à une Sasha Hails naïve mais elle aussi, talentueuse.
Minimaliste dans la forme, le moyen-métrage de François Ozon laisse
une très désagréable impression et ce, même au delà de la
projection. Comme la semelle d'une chaussure pleine de merde laissant
une odeur forte et inconfortable...
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