Nouvelle Cuisine
n'est pas de ces œuvres qui vous ouvrent l'appétit. Bien au
contraire. Au pire, ou au mieux, elle subjuguera votre passion du
septième art par sa conception de la gastronomie tout à fait
originale. Exquise et dérangeante. Poétique et morbide. Ou comment
vouer sa jeunesse éternelle à la consommation raffinée de fœtus
humains plus ou moins âgés. Dans les décors d'un quartier chinois
capté par le regard voyeur d'une caméra filmant de loin des
figurants de quatrième rang vit Tante Mei. A l'image des rebouteux
de notre arrière-pays officiant clandestinement et en parallèle à
la médecine traditionnelle, cette ancienne médecin à troqué la
table d'opération pour celle de sa cuisine. Une artiste en ce
domaine. De délicats raviolis élaborés avec la talent d'un chef
cinq étoiles. De fines membranes représentatives (ou pas) du
placenta qui peu de temps auparavant, protégeait ces fébriles
créatures dont les génitrices ont fait le choix de se débarrasser.
Des décors sucrés enrobés de touches pastelles, le cinéaste
chinois Fruit Chan (ça ne s'invente pas) y oppose le rouge cru de la
viande hachée menue et accompagnée de divers condiments. Ce rouge
signifiant la virginité perdue, l'avortement, et par conséquent la
mort, se retrouve jusque dans les couleurs criardes du voile
protégeant le visage de Chung Li, actrice vieillissante, trompée
par un riche époux volage, venue payer à prix d'or les mets
préparés par Tante Mei. Le cannibalisme comme vous ne l'avez sans
doute jamais vu. Peut-être entre-aperçu, ici ou là (Le
Cuisinier, le Voleur, sa Femme et son Amant de Peter
Greenaway), cet aspect extrême et interdit de la gastronomie, Fruit
Chan la suublime. A tel point que l'aversion logique produite par une
telle activité ne nous poussera à aucun moment jusqu'aux toilettes
afin d'y rendre le contenu de notre dernier repas.
C'est fin, et tourné
avec une certaine classe. Sans jamais s'appesantir sur une quelconque
surenchère esthétique qui renverrait son œuvre dans la catégorie
des films d'auteur parfois lourde de conséquences, Nouvelle
Cuisine est dans sa construction, tout à fait admirable.
Plus qu'un simple film d'horreur (ce qui, d'ailleurs, il n'est pas),
le long-métrage de Fruit Chan aborde sans jamais faire dans la
démagogie, le couple, la peur de vieillir, et les médecines
parallèles. Il y confronte une certaine forme de bourgeoisie ne
souffrant d'aucun scrupule lorsqu'il s'agit de se nourrir de fœtus
humains, à des individus de souche beaucoup plus modestes mais qui
dans la relative importance qu'ils génèrent vis à vis de
concitoyens qui autrement n'auraient même pas fait l'effort de
frapper à leur porte, peuvent se permettre une certaine ironie. On
pense bien sûr, cannibalisme. Mais pourquoi pas aussi, vampirisme.
Tant dans l'acte de consommation de viande humaine, que dans
l'addiction de Chung Li pour cette matière première seule capable
de lui rendre sa jeunesse.
Beau comme un poème,
Nouvelle Cuisine connaît aussi des moments plus durs,
nécessaires pour que le spectateur puisse encore faire la différence
entre ce qui demeure acceptable et ce qu'il se doit de rejeter quoi
qu'il en coûte. Dernier rempart contre la perte totale de dignité,
ou plus simplement d'humanité, quelques actes nous maintiennent donc
sur les bons rails. Se manifestant de façon brut, extraordinairement
accompagnés par l'anxiogène partition musicale de Chan Kwong-Wing.
Sans jamais précéder l'acte monstrueux, la musique alerte le
spectateur une fois la chose accomplie. Comme pour nous assurer que
le fait qui vient d'avoir lieu est bien monstrueux et n'est surtout
pas à mettre sur le compte de la normalité. Miriam Yeung, Bai Ling
et Tony Leung Ka-Fai sont les trois principaux interprètes d'une
pièce en un acte battant aussi bien le froid que le chaud. Et même
le brûlant parfois. Une lente descente aux enfers avec signes avant
coureurs. La dégénérescence physique et mentale sont ici
indissociables. Parfaitement interprété et mis en scène, Nouvelle
Cuisine possède de plus une photographie magnifique, œuvre
de l'australien Christopher Doyle. On ne
s'étonnera donc pas de retrouver ce nom accolé à celui du cinéaste
hongkongais Wong Kar-Wai, un autre esthète. A voir, donc.
Absolument.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire