Qui aurait pu croire
qu'en 1990, sept ans après la comédie musicale Flashdance,
le cinéaste britannique Adrian Lyne nous assénerait un coup de
point dans le ventre. Un autre au visage. Et un dernier entre les
jambes ? Autant d'épreuves physiques et morales trouvant leur
écho dans son Jacob's ladder. Chez nous, L’Échelle
de Jacob. Un titre curieux, qui interpelle les fans du
cinéaste, mais les autres également. Mais cette échelle, à
proprement parler, quelle est-elle ? Et qui sont ces ombres qui
parcourent la pellicule ? Transforment l'existence de cet ancien
soldat revenu à la vie civile après le passage obligé de la guerre
du Vietnam ? L'auteur de Liaison Fatale passe ici
avec brio, l'épreuve de l'horreur psychologique. Comme le fit à sa
manière et en son temps Roman Polanski avec son chef-d’œuvre Le
Locataire. Sans jamais se casser les dents. Nous laissant
tout le temps nécessaire afin de comprendre ce qui très vite se
trame dans la vie et surtout, dans l'esprit de Jacob Singer.
Ancien combattant,
divorcé, père de trois enfants dont l'un a perdu la vie juste avant
que Jacob ne parte affronter l'ennemi sur les terres vietnamiennes.
Aujourd'hui, l'homme a refait sa vie au bras de Jezebel Pipkin (la
sexy Elizabeth Peña) et travaille à la Poste. Mais depuis quelques
temps, il est assailli par des visions particulièrement
inquiétantes. Tout commence dans le métro. Est-il encore endormi
sur sa banquette devant le ramener chez lui lorsqu'il remarque
l'étrange appendice qui se meut entre les jambes d'un clochard
endormi ? Ou bien lorsque passe devant lui un autre train rempli
d'êtres étranges, fantomatiques, et semblant le suivre du regard?
Ou bien ne s'agirait-il que d'une très forte grippe dont la phase la
plus critique se serait éveillée bien avant que les premiers
symptômes aient fait surface ? Peut-être faut-il même
chercher ailleurs. Retourner là-bas, au Vietnam, pour comprendre ce
qui arrive à Jacob. A lui, mais à ses anciens compagnons d'arme
également, qui bientôt, vont refaire surface...
Reposant sur un scénario écrit par le réalisateur, producteur et
scénariste américain Bruce Joel Rubin,
L’Échelle de Jacob
est un voyage hallucinatoire, hypnotique, et cauchemardesque dans la
tête d'un individu qui depuis la guerre, n'est plus tout à fait le
même. Une série de traumas dont les origines remontent bien avant,
avec la mort de Gabe, l'un de ses deux fils, à la suite de quoi, son
couple n'a pas résisté. Le divorce ? Une broutille dira-t-on,
surtout à côté des horreurs de la guerre. De ce charnier présenté
en ouverture de L’Échelle
de Jacob.
Tout une section ou presque de soldats américains sur lesquels a
fondu l'ennemi. Afin de bien marquer les esprits, Adrian Lyne exhibe
des soldats (encore vivants) en charpie. L'un a perdu son bras
gauche. L'autre la jambe droite. Mais tous paraissent avoir en commun
d'avoir perdu la tête. Le cinéaste britannique filme l'horreur de
la guerre. Sans concession. La musique envoûtante et terriblement
anxiogène de Maurice Jarre, célèbre compositeur de musiques de
film et père d'une certain Jean-Michel, participe à l'horreur de ce
combat désordonné mais dont la finalité est la même :
éliminer l'ennemi jusqu'au dernier de ses représentants. C'est sur
l'image d'un Jacob transpercé par la baïonnette d'un soldat ennemi
qu'il se réveille ainsi dans le métro. Le cauchemar n'a jamais
vraiment pris fin. C'est le lot de bon nombre d'anciens combattants.
Celui auquel va être confronté l'acteur Tim Robbins (Les
Évadés,
Le Grand Saut)
dépasse le cadre du simple cauchemar. D'ailleurs, comme le précisent
assez justement les affiches américaines et françaises : « Le
plus effrayant dans les cauchemars de Jacob Singer, c'est qu'il ne
rêve pas ».
L’œuvre
dépasse elle aussi un cadre. Celui du drame. Car L’Échelle
de Jacob
ne fait pas qu'évoquer le thème de la réinsertion d'un ancien
soldat en milieu civil à la suite d'une guerre mais oppose son
personnage à des événements vraiment terrifiants. Ses doutes,
deviennent alors les nôtres. Qui de tel ou tel événement est réel.
Quelle est la part de rêve, de fantasme et de réalité ? Le
cinéaste se joue de la perception du spectateur en faisant
intervenir des situations difficiles à démêler. Par exemple,
lorsque Jacob se retrouve entre les bras de celle avec laquelle il
est supposé avoir divorcé, on en vient à se demander dans quelle
mesure, tout ce qui a précédé n'est pas du domaine du rêve. Un
événement perturbant remettant en cause le fondements d'un récit
qui, jusqu'ici semblait tenir : La mort de Gabe. La guerre du
Vietnam. Le divorce. La vie avec Jezebel. Les cauchemars.
La
frontière entre le Paradis et l'Enfer est ténue. Et lorsque Adrian
Lyne envoie son héros vers cette lumière éclatante qui nous mène
tous jusqu'au paradis, on comprend qu'il a choisi pour son Jacob, le
chemin qui mène tout droit en Enfer (l'impressionnante scène de la
civière parcourant l’hôpital délabré). Comme pour bon nombre
d’œuvres cinématographiques œuvrant dans un certain flou, tout
n'est ici que subjectif. On peut émettre tout un tas d'hypothèse
sans jamais savoir ce qu'à réellement voulu exprimer son auteur. Et
même si la conclusion ne laisse aucun doute, il restera encore
longtemps des choses à découvrir. L’Échelle
de Jacob
est une œuvre profonde, cauchemardesque, intelligente, admirablement
interprétée et dirigée de main de maître par un cinéaste au
sommet de sa carrière...
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