Qui ont-elles tué ?
Cette mère de famille qui a fait un long voyage jusqu'au Vietnam
pour y adopter une petite fille ? Ce marchand de vêtements que
sa femme a quitté après qu'il aie cédé à tous ses caprices ?
Ce jeune cultivateur qui a repris la concession agricole de son père
? Ou est-ce le navigateur ? La propriétaire de l'hôtel ?
Le fils de celle-ci, peut-être ? Malik, le compagnon de Lizzy ?
Ou encore les deux forains... ? On sent bien qu'avec Lizzy et
Nina, tout peut arriver. Reste plus qu'à espérer que dans ce monde
de brutes, dans cet univers presque strictement masculin qu'elle vont
côtoyer durant plus d'une heure trente. Leur victime ne fera pas
partie des quelques rares innocents qu'elles rencontreront.
Lizzy et Nina sont en
quelque sorte les versions modernes de Sophie et Jeanne, les deux
héroïnes de La Cérémonie de Claude Chabrol. Ou le
pendant féminin de Pierrot et Jean-Claude, les deux marginaux du
cultissime Les Valseuses de Bertrand Blier.
Meurtrières, un chef-d’œuvre ? Non,
certainement pas. Mais un très bon film tout de même, porté par la
mise en scène sobre du cinéaste français Patrick Grandperret et
par la superbe interprétation de ses deux principales interprètes.
D'un côté, la jeune belge Hande Kodja, à peine âgée de
vingt-huit ans. De l'autre, l'actrice française Céline Sallette,
trente-sept ans. Presque dix ans d'écart et des personnages au
caractère bien différent. Toute en retenue, la première découvre
les joies de la liberté. Le plaisir, mais aussi les contraintes. Si
le désir de voler de ses propres ailes fait partie des préceptes de
l'adolescence, Lizzy et Nina vont très vite se rendre compte que la
marginalisation à un prix : sans le sou, et sans abri, les
voilà livrée à un monde de requins qui n'en veut qu'à leurs
fesses.
Meurtrières
fait parfois preuve d'un nihilisme incroyable dans la description de
ses personnages secondaires. Qu'il s'agisse des différentes couches
sociales, ou de l'appétence sexuelles des hommes et des femmes
rencontrées lors de ce triste road-movie, Lizzy et Nina vont croiser
une galerie de portraits peu reluisants. De l’ambiguïté des
relations entre la cliente du salon de massage et Nina, jusqu'au
contact des deux jeunes femmes avec d'innombrables chauffeurs
poids-lourds au comportement hautement caricatural, le film de
Patrick Grandperret propose un dialogue social nivelant son propos
vers le bas. Tout y est d'une « sombritude »
désespérante. Dans ce magma épais duquel ne surnage que quelques
rares notes d'espoir (le conducteur d'un camion acceptant de
transporter les deux héroïnes sans contrepartie, redorant ainsi
quelque peu le blason de sa profession), la porte de sortie ne peut
mener Lizzy et Nina que vers cet acte furtivement évoqué au tout
début du film.
Le meilleur exemple des
pressions morales exercées sur les deux jeunes femmes par le monde
qui les entoure demeure peut-être dans cet espace confiné
représenté par l’hôpital psychiatrique où sont parqués de
vrais fous comme on entend décrire ceux qui vivent en dehors de la
« normalité ». Entre sourires et démence
passagère. Une pièce de théâtre tragi-comique interprétée par
de véritables malades mentaux pourtant bien moins dangereux que les
prédateurs chassant sur les terre grises et bétonnées des grands
ensembles immobiliers.
Les deux héroïnes de
Meurtrières vivent en outre, une curieuse expérience
que l'on pourrait presque assimiler à une boucle spatio-temporelle.
Sans cesse ramenée sur les lieux où prolifèrent leurs mauvais
démons, le cinéaste contraint d'une certaine manière ses actrices
à commettre l'acte final irréparable. Une belle réussite. De
belles et talentueuses actrices. Et des seconds rôles impeccables...
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