On l'a sans doute oublié,
peut-être ne le savions-nous pas, ou plus simplement, certains ne
s'en préoccupaient probablement pas à l'époque, mais L'Exorciste
a failli arborer un visage bien différent de celui qu'on lui connaît
depuis maintenant presque un demi-siècle (à quelques années
près...). Cette œuvre de William Friedkin à valeur de documentaire
(le film s'inspire en effet d'un fait divers authentique) aurait sans
doute davantage ressemblé à une fiction (ce qu'elle demeure
effectivement) si les rôles des Pères Merrin et Karras avaient été
confiés à des interprètes beaucoup plus connus du grand public (au
hasard, Gene Hackman, Al Pacino, Roy
Scheider ou encore Stacy
Keach qui au départ étaient tous pressentis). Même ceux de Regan
et de sa mère posèrent problème avant que le cinéaste n'impose
les actrices Ellen Burstyn et Linda Blair avec véhémence.
Max
von Sydow dans celui du père Merrin, Jason Miller dans le costume du
Père karras. Le premier ne croit pas en Dieu, le second, lui, a
perdu la foi. Autre point commun entre les deux interprètes :
ils demeurent à l'époque de parfaits inconnus aux États-Unis. Le
premier est célèbre dans son pays, la Suède, pour avoir été le
principal interprète d'un grand nombre de longs-métrages signés
par l'illustre Ingmar Bergman (Le Septième Sceau,
La Source, Les
Fraises sauvages). Jason
Miller, lui, n'a jusqu'à maintenant fait parler de lui que pour sa
carrière de comédien au théâtre et n'a joué pour l'instant que
dans un seul long-métrage, The Nickel Ride
de Robert Mulligan,
auteur du chef-d’œuvre The Other.
On
oublie également que L'Exorciste
n'est pas qu'un simple film d'horreur, mais surtout un drame familial
poignant. Car au delà de l'abomination qu'est le démon Pazuzu qui
prend en otage la jeune Regan, ce sont les liens entre une mère et
sa fille qui se délient. D'une certaine manière, William Friedkin
impose le passage à l'âge adulte à une gamine douce et pure de la
façon la plus radicale.
Lorsqu'interviennent
enfin Merrin et Karras, il est devenu difficile d'identifier Regan en
tant que jeune adolescente. Le masque mortuaire qu'elle porte à la
place de son doux visage l'identifiant alors à ce moment là,
davantage au démon qui l'habite qu'à l'enveloppe charnelle d'une
gamine qui aurait dû encore avoir à tout apprendre (les rapports à
la découverte de sa sexualité étant ici révélés à travers un
acte masturbatoire particulièrement violent).
Durant
de longues minutes, dans une chambre glaciale et une atmosphère
délétère, deux hommes vont combattre le Malin sous sa forme la
plus terrifiante (dans un premier temps, les signes évocateurs de sa
présences ne touchent pas encore l'intégrité physique de Regan).
De très longues minutes qui imposent un combat entre le bien et le
mal. La chambre de Regan n'a plus grand chose à voir avec
l'environnement normal d'une gamine de douze ans mais ressemble
davantage à l'enfer dans lequel l'adolescente et son entourage sont
plongés maintenant depuis plusieurs semaines.
Ce
long exorcisme que nous promet le titre du film est éprouvant, digne
d'une œuvre horrifique, mais montre également avec quel acharnement
et quel amour pour son prochain, deux hommes vont aller jusqu'à
sacrifier leur propre existence pour sauver l'âme d'une jeune
enfant. La mort du père Merrin demeure de ces deux sacrifices, la
moins poignante. Peut-être parce qu'elle est attendue. N'oublions
pas que dès l'intro en Irak, on soupçonnait le père Merrin d'être
malade du cœur. Si la peine de le voir mourir ne nous étreint pas,
juste avant que sa mort n'intervienne, on ressent tout de même
l'angoisse d'une mort prête à se saisir de l'âme d'un homme au
départ, éminemment fragile. Le véritable bouleversement se situe
dans le décès de Karras. Cet homme de Dieu qui déjà a perdu sa
mère. Accusé dans des rêves morbides de l'avoir abandonnée dans
un asile, le voici désormais contraint au sacrifice. En s'offrant à
Pazuzu, n'est-il pas à ce moment très précis, celui qui prend
possession de l'autre ? En libérant Regan de l'emprise du
démon, et en se jetant par la fenêtre, le Père Karras met un terme
aux tourments de la jeune fille. Et pourtant, cette fin laisse
derrière elle un certain ressentiment. L'Exorciste
ne se clôt ni sur une happy end, ni sur une fin totalement
pessimiste. La mort de Karras ne signifie donc pas une fin heureuse.
Pas un sourire pour cette jeune fille qui vient d'être sauvée, mais
plutôt un regard vers cet escalier jouxtant la chambre maudite, et au bas des marches duquel un homme a perdu la vie...
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