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mardi 29 mars 2016

Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog (1979) - ★★★★★★★★★☆



Dans le nord de l'Allemagne, Jonathan Harker, jeune employé d'une étude notaire et époux de Lucy, est chargé d'une importante mission consistant à se rendre en Transylvanie afin de rencontrer le comte Dracula auquel il doit faire signer les papiers d'une vente concernant une demeure située à Wismar. Sur la route, il rencontre les propriétaires d'une auberge qui lui déconseillent vivement d'abandonner l'idée de se rendre au château du comte. Malgré les avertissements et le refus de tous de l'y accompagner, Jonathan fait route à pied et finit par arriver devant l'immense demeure de Dracula. Invité à y pénétrer par le propriétaire lui-même, Jonathan est convié à un dîner, puis à passer la nuit au château.

Lorsque vient le moment de la signature, le comte découvre que l'épouse de son invité est le portrait craché de sa défunte épouse. Totalement obnubilé par l'idée d'aller la retrouver à Wismar, Dracula enferme Jonathan à l'intérieur du château après l'avoir mordu dans le cou et part jusqu'en Allemagne à bord d'un bateau, accompagné de centaines de rats véhiculant la peste afin de faire se propager la maladie dans la ville toute entière une fois arrivé à destination...

Alors que le nazisme a provoqué les ravages que l'on connaît, alors que certains cinéastes allemands de l'après-guerre vont se référer à des cinéastes outre-atlantiques, Werner Herzog, lui, va plutôt aller chercher du côté de ses plus vieux ancêtres cinématographiques. Et parmi eux, l'un des plus illustres représentants de la vague expressionniste allemande, courant artistique né au début du vingtième siècle en Europe et dont l'Allemagne fut le pays le plus fier représentant : Friedrich Wilhelm Murnau. Le cinéaste allemand fut l'auteur de quelques pépites et notamment d'un Nosferatu, eine Symphonie des Grauens en 1922, l'un des chef-d’œuvre de l’expressionnisme allemand. Le film du cinéaste faillit ne jamais sortir, la veuve de l'écrivain dont l’œuvre s'inspire (le roman Dracula de Bram Stoker) ayant gagné un procès à l'issu duquel fut exigée la destruction pure et simple de toute les copies du film. Des détails et certains noms furent finalement changés et quelques copies furent sauvées de la destruction et mises en circulation dans les années trente en France et aux États-Unis.

Cinquante sept ans plus tard, Werner Herzog en signe donc le remake. Nosferatu, fantôme de la nuit est le second projet qui va lier le cinéaste à celui qui devient dès Aguirre, la Colère de Dieu, son acteur fétiche, Klaus Kinski. Dès les premiers instants, filmés au musée des momies de Guanajuato au Mexique, Werner Herzog crée un véritable climat de tension que la musique du désormais fidèle groupe de rock allemand Popol Vuh vient accentuer. Une scène véritablement marquante, comme le seront d'autres, tout au long d'une oeuvre épousant à maintes reprises le visuel du film dont il s'inspire. Aux côtés de Kinski, on découvre l'acteur Bruno Ganz dans le rôle de Jonathan Harker, mais également Isabelle Adjani dans celui de son épouse, plus étonnant, le dessinateur, illustrateur et cinéaste Roland Topor dans celui de Renfield, ainsi que Jacques Dufilho dans le rôle du capitaine du bateau.

Plus qu'au roman de Bram Stoker, Werner se réfère donc au film de Friedrich Wilhelm Murnau, s'appliquant parfois à retourner des scènes telles qu'elles apparaissaient dans l’œuvre originale, permettant ainsi aux frileux demeurant réfractaires face au cinéma muet, d'en découvrir une relecture colorisée et parlée. Et lorsque l'on parle ici de colorisation, il faut garder en tête que l’œuvre toute entière est parcourue d'une ambiance et d'environnements mortifères, obligeant Werner Herzog à opter pour des teintes parfois presque monochromes dans des environnements d'une tristesse absolue. Même la ville de Wismar qui dans l'ombre impressionnante (impressionniste ?) du comte Dracula se vide peu à peu de ses habitants, tour à tour victimes de la peste, l'ambiance devient de plus en plus crépusculaire.

Une poésie morbide se dégage de ce remake dans lequel Klaus Kinski interprète un personnage aux antipodes de celui qu'il a créé en tant qu'acteur: toute la violence et la fureur de ce personnage hors du commun disparaissent au profit d'une interprétation toute en douceur et en délicatesse, Kinski (en tant que Dracula) s'efforçant à contenir toute la rage de son personnage durant des scènes visuellement remarquables. On ne compte pas, en effet les moments de bravoure d'une œuvre qui pourtant laissera de marbre un certain public. Une certaine rusticité parcourt le Nosferatu d'Herzog. L'immobilisme dans lequel sont plongés parfois ses interprètes rappelle d'ailleurs le chef-d’œuvre Cœur de Verre qu'il signa trois ans plus tôt en 1976. Kinski, encore, sublime de son incroyable aura une œuvre presque totalement vouée à son interprétation. Comme son personnage semble draper d'un cape gigantesque rendue plus grande encore par les effets de lumières, la ville de Wismar, l'acteur en tant que tel, finit par absorber le jeu des autres comédiens.

Werner Herzog, signe une très grande œuvre, peut-être pas aussi précise que le film original de Friedrich Wilhelm Murnau, mais en tout cas un très bel hommage à ce dernier, ainsi qu'à l'expressionnisme allemand...

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