Dans le nord de
l'Allemagne, Jonathan Harker, jeune employé d'une étude notaire et
époux de Lucy, est chargé d'une importante mission consistant à se
rendre en Transylvanie afin de rencontrer le comte Dracula auquel il
doit faire signer les papiers d'une vente concernant une demeure
située à Wismar. Sur la route, il rencontre les propriétaires
d'une auberge qui lui déconseillent vivement d'abandonner l'idée de
se rendre au château du comte. Malgré les avertissements et le
refus de tous de l'y accompagner, Jonathan fait route à pied et
finit par arriver devant l'immense demeure de Dracula. Invité à y
pénétrer par le propriétaire lui-même, Jonathan est convié à un
dîner, puis à passer la nuit au château.
Lorsque vient le moment
de la signature, le comte découvre que l'épouse de son invité est
le portrait craché de sa défunte épouse. Totalement obnubilé par
l'idée d'aller la retrouver à Wismar, Dracula enferme Jonathan à
l'intérieur du château après l'avoir mordu dans le cou et part
jusqu'en Allemagne à bord d'un bateau, accompagné de centaines de
rats véhiculant la peste afin de faire se propager la maladie dans
la ville toute entière une fois arrivé à destination...
Alors que le nazisme a
provoqué les ravages que l'on connaît, alors que certains cinéastes
allemands de l'après-guerre vont se référer à des cinéastes
outre-atlantiques, Werner Herzog, lui, va plutôt aller chercher du
côté de ses plus vieux ancêtres cinématographiques. Et
parmi eux, l'un des plus illustres représentants de la vague
expressionniste allemande, courant artistique né au début du
vingtième siècle en Europe et dont l'Allemagne fut le pays le plus
fier représentant : Friedrich Wilhelm Murnau. Le cinéaste
allemand fut l'auteur de quelques pépites et notamment d'un
Nosferatu, eine Symphonie des Grauens
en 1922, l'un des chef-d’œuvre de l’expressionnisme allemand. Le film
du cinéaste faillit ne jamais sortir, la veuve de l'écrivain dont l’œuvre s'inspire (le roman Dracula de Bram Stoker) ayant gagné un
procès à l'issu duquel fut exigée la destruction pure et simple de
toute les copies du film. Des détails et certains noms furent
finalement changés et quelques copies furent sauvées de la
destruction et mises en circulation dans les années trente en France
et aux États-Unis.
Cinquante
sept ans plus tard, Werner Herzog en signe donc le remake. Nosferatu,
fantôme de la nuit
est le second projet qui va lier le cinéaste à celui qui devient
dès Aguirre, la Colère
de Dieu,
son acteur fétiche, Klaus Kinski. Dès les premiers instants, filmés
au musée des momies de Guanajuato au Mexique, Werner Herzog crée un
véritable climat de tension que la musique du désormais fidèle
groupe de rock allemand Popol Vuh vient accentuer. Une scène
véritablement marquante, comme le seront d'autres, tout au long
d'une oeuvre épousant à maintes reprises le visuel du film dont il
s'inspire. Aux côtés de Kinski, on découvre l'acteur Bruno Ganz
dans le rôle de Jonathan Harker, mais également Isabelle Adjani
dans celui de son épouse, plus étonnant, le dessinateur,
illustrateur et cinéaste Roland Topor dans celui de Renfield, ainsi
que Jacques Dufilho dans le rôle du capitaine du bateau.
Plus
qu'au roman de Bram Stoker, Werner se réfère donc au film de
Friedrich Wilhelm Murnau, s'appliquant parfois à retourner des
scènes telles qu'elles apparaissaient dans l’œuvre originale,
permettant ainsi aux frileux demeurant réfractaires face au cinéma
muet, d'en découvrir une relecture colorisée et parlée. Et lorsque
l'on parle ici de colorisation, il faut garder en tête que l’œuvre
toute entière est parcourue d'une ambiance et d'environnements
mortifères, obligeant
Werner Herzog à opter pour des teintes parfois presque monochromes
dans des environnements d'une tristesse absolue. Même la ville de
Wismar qui dans l'ombre impressionnante (impressionniste ?) du comte
Dracula se vide peu à peu de ses habitants, tour à tour victimes de
la peste, l'ambiance devient de plus en plus crépusculaire.
Une
poésie morbide se dégage de ce remake dans lequel Klaus Kinski
interprète un personnage aux antipodes de celui qu'il a créé en
tant qu'acteur: toute la violence et la fureur de ce personnage hors
du commun disparaissent au profit d'une interprétation toute en
douceur et en délicatesse, Kinski (en tant que Dracula) s'efforçant
à contenir toute la rage de son personnage durant des scènes
visuellement remarquables. On ne compte pas, en effet les moments de
bravoure d'une œuvre qui pourtant laissera de marbre un certain
public. Une certaine rusticité
parcourt le Nosferatu
d'Herzog. L'immobilisme dans lequel sont plongés parfois ses
interprètes rappelle d'ailleurs le chef-d’œuvre Cœur
de Verre
qu'il signa trois ans plus tôt en 1976. Kinski, encore, sublime de
son incroyable aura une œuvre presque totalement vouée à son
interprétation. Comme son personnage semble draper d'un cape
gigantesque rendue plus grande encore par les effets de lumières, la
ville de Wismar, l'acteur en tant que tel, finit par absorber le jeu
des autres comédiens.
Werner
Herzog, signe une très grande œuvre, peut-être pas aussi précise
que le film original de Friedrich Wilhelm Murnau, mais en tout cas un
très bel hommage à ce dernier, ainsi qu'à l'expressionnisme
allemand...
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