Avant de devenir un
projet cinématographique pharaonique orchestré par le cinéaste,
acteur, mime, poète et scénariste chilien Alejandro Jodorowsky et
de tomber entre les mains du réalisateur américain david Lynch,
Dune est avant tout une œuvre littéraire considérée
par beaucoup comme l'une des plus importantes dans le domaine de la
science-fiction. C'est le producteur Michel Seydoux, alors très
impressionné par les travaux de Jodo qui propose de produire sa
dernière œuvre à venir. Voulant créer un film en envisageant
qu'elle pourrait occasionner des effets similaires à ceux du LSD,
Jodorowsky veut modifier la perception des gens, et notamment ceux
des jeunes du monde entier. Un prophète. Un dieu artistique. Une
divinité cinématographique. Le chilien veut ouvrir les esprits, son
propre intellect... et pour cela, il va devoir se battre. Créer une
armée de guerriers rompus à l'exercice du story board, de la
production, du métier d'acteur, de designer, et de compositeur.
Beaucoup plus tard,
Nicolas Winding Refn avoue avoir été dîner un soir avec sa femme
chez Jodorowsky. Le cinéaste lui propose de voir Dune.
En fait, un story-board extrêmement détaillé, constitué d'environ
trois milles dessins que son ami Moebius a dessiné pour lui. Jodo
raconte page après page l'histoire de ce projet, et celle de sa
vision du roman signé Frank Herbert. Refn en ressort incroyablement
marqué par ce qu'il envisage alors comme le plus grand film jamais
créé, se considérant lui-même comme le seul à avoir pu voir
Dune.
Jodorowsky commence par
faire du théâtre, puis produit Fando Y Lis, son
premier long-métrage, lequel, dit-il, a rendu fous ceux qui ont pu
le découvrir au cinéma. Il réalise ensuite El Topo,
premier, et peut-être unique, western ésotérique de l'histoire du
cinéma. Une œuvre, dense, touffue, complexe, hallucinogène, et
définitivement culte. Puis vient La Montagne Sacrée,
autre œuvre majeure et culte elle aussi. Le cinéaste et scénariste
Dan O'Bannon rencontrera plus tard le chilien avec lequel il
consommera de l'herbe avant d'être l'un de ces fameux guerriers aux
côtés de Moebius (lui-même à la conception du story-board), Jodo
lui confiant les effets-spéciaux. O'Bannon vent tout ce qu'il
possède, poussé par un Jodo très persuasif.
Ce dernier doit désormais
constituer l'équipe qui formera les interprètes de son incroyable
projet. Il pense d'abord à l'acteur David Carradine après l'avoir
vu dans la célèbre série télévisée Kung-Fu. Entre temps, il
rencontre les membres du groupe de rock psychédélique Pink Floyd
qui accepte de composer une partie de la bande originale. Ensuite,
Jodorowsky pense à son fils pour interpréter le rôle de Paul, fils
du Duc Leto et de Dame Jessica, qui aux côtés des Fremen dont il
deviendra le chef et le messie, mènera ces derniers à la victoire
face aux troupes des Sardaukars de l'Empereur Shaddam IV.
Pour la conception des
vaisseaux, Jodorowsky pense à l'illustrateur britannique Chris Foss
dont le travail sur les
couvertures d’œuvres de science-fiction convainquent qu'il est
l'homme qu'il lui faut pour créer ceux-ci. Jodorowsky part ensuite
chercher le plasticien, graphiste, illustrateur, sculpteur et
designer suisse Hans Ruedi Giger. Le cinéaste en est convaincu :
le travail de Giger est à l'image de ce à quoi devra ressembler la
planète Arrakis et ceux qui l'occupent : la famille Harkonnen.
Jodo pense à Dali, à Mick Jagger, pour l'interprétation. Pense
aussi au groupe français psychédélique Magma
créé par le compositeur, chanteur et batteur Christian Vander pour
la création d'une partie de la bande musicale. Jodorowsky's
Dune décortique
petit à petit le travail effectué sur l'un des projets les plus
ambitieux de l'histoire du cinéma...
Le récit de cette
aventure extraordinaire qui a mené le cinéaste chilien Alejandro
Jodorowsky à présenter aux plus grand studios américains son
projet avant de connaître la déception en étant refoulé par ces
derniers en raison de sa trop forte et originale personnalité montre
à quel point Dune aurait été une grande œuvre, loin
de la pathétique adaptation du pourtant immense David Lynch.
Jodorowsky dans un premier temps refusera d'ailleurs d'aller le
voir au cinéma de peur que la version de l'américain soit meilleure
que la sienne. En découvrant cette œuvre inachevée dont pas même
le moindre bout de pellicule n'existe, on entre dans l'esprit de
Jodorowsky. On découvre les mécaniques d'un cinéaste qui n'a pas
peur de prendre des risques, allant jusqu'au bout de ses rêves.
Jodorowsky's Dune
est
un document rare et précieux. Le cheminement d'une pensée. La
création d'une armée d'artistes en tous genres. L'évolution d'un
projet de sa forme initiale jusqu'à la chute vertigineuse face à
des studios de cinéma trop frileux qui mettent en évidence l'un des
propos du cinéaste chilien lui-même : « Pour
moi, le cinéma est un art, plus qu'une industrie. C'est la recherche
de l'âme humaine... »
Excellent article !
RépondreSupprimerUne œuvre de cette ampleur inachevée reste quelque chose de troublant... Réunir les meilleurs et les plus fous dans chaque domaine fait rêver... mais faire travailler ensemble et cordonner ces êtres fantasques et indépendants, souvent à l'égo démesuré aurait été autre chose...