Le nouveau film
d'Alejandro Gonzales Inarritu, le bonhomme qui signa quinze années
plus tôt un excellent premier film, Amours Chiennes, avant
d’enchaîner les succès, revient donc avec un ambitieux projet.
Birdman est l'adaptation au cinéma (au théâtre?) d'une
nouvelle écrite par Raymond Carver en 1981, Parlez-Moi d'Amour.
Pour interpréter le rôle-titre, le cinéaste mexicain fait appel à
une ancienne gloire du cinéma américain que l'on a surtout suivi
dans les années quatre-vingt, quatre-vingt dix, Michael Keaton. Il y
a dans ce choix, n'en doutons pas, une certaine ironie, et même
pourquoi pas un amour immodéré pour cette vedette qui a perdu ce
visage lisse que certains pouvaient parfois trouver agaçant.
Aujourd'hui l'acteur a pris de la bouteille et son regard possède
désormais une dimension émotionnelle assez stupéfiante qui dénote
avec l'interprète d'autrefois. Le Batman vieillissant de 1989 et
1992 a laissé la place à un Birdman dont les fans attendent
toujours le quatrième volet de ses aventures. Un nouveau héros mis
à nu, aussi fripé que ceux de son âge et caractérisé par un ego
parfois tellement gonflé qu'il lui arrive de s'entendre parler à
travers la voix du héros qu'il a jusqu'à maintenant campé par
trois fois.
Et pour se sentir
exister, quoi de mieux que de monter une pièce de Broadway afin de
revenir tout en haut de la scène, là où justement de jeunes loups
aux dents longues ou au contraire totalement immatures et sûrs d'eux
à force de critiques élogieuses vont jouer des coudes pour
s'imposer et rendre le retour de ce héros du passé caduque. Face à
Michael Keaton, un Edward Norton très « dans l'air du temps ».
De cet air frais que d'aucun osera décrire de malodorant, surtout si
l'on n'adhère pas à ce point de vue qui fait honneur aux réseaux
sociaux plus qu'à l'image glamour de ces vieilles stars du cinéma
(et sans doute de la chanson) dont la valeur n'a d'intérêt aux yeux
du plus grand nombre que s'ils sont raccordés à Facebook ou Twitter
pour ne citer qu'eux. Alejandro Gonzales Inarritu en profite donc
pour dresser un constat cinglant et particulièrement réaliste sur
le réel statut que l'on veut bien accorder à telle ou telle
célébrité.
Birdman offre
d'ailleurs à ce propos de très belles ruptures de ton, entre
humour, drame, et parfois même fantastique. Michael Keaton n'a
peut-être jamais été aussi touchant, surtout dans la langue qui
est la sienne, ce regard parfois perdu, tendre, sévère, insoumis
mais jamais véritablement abattu. Le film est une plongée dans
l'univers implacable du théâtre, celui-là même que l'on
n'imaginait pas être aussi féroce que celui du septième art. C'est
aussi la reconstruction d'un homme qui doit faire face aux affres de
la drogue qui touchent la plus importante créature à ses yeux :
sa fille.
Alejandro Gonzales
Inarritu nous jette à la gueule une œuvre sensible qui, au delà de
sa caméra portée à l'épaule, le brouillard épais qui recouvre
certaines situations et l'ultra-réalisme de certaines autres,
parvient à atteindre un but auquel on peut avoir du mal à croire
les premières minutes. Non, Birdman n'est pas une œuvre
« auteurisante » qui se caresse les zones érogènes
pendant que les spectateurs s'endorment dans leur fauteuil. Il ne
fait même pas partie de cette frange du cinéma dite intellectuelle
qui ne s'adresse qu'à un public « d'avertis ». Le
cinéaste s'offre le luxe de filmer son œuvre de la manière la plus
classique possible, sans jamais nous tromper autrement qu'à travers
un faux plan-séquence de presque deux heures que l'on imagine
évidemment impossible à réaliser quel que soit le talent du
cinéaste.
S'il n'y avait d'ailleurs
qu'une seule chose à reprocher au film, ce serait peut-être
d'ailleurs cette volonté qu'a eu Alejandro Gonzales Inarritu de
faire de Birdman un
plan-séquence durant la totalité du film. Car derrière cette
petite supercherie se cache un piège dans lequel tomberont
inévitablement les forcenés de l'image qui voudront trouver toutes
les failles visuelles et dresser ainsi le portrait précis du montage
de Douglas Crise et Stephen Mirrione. A part cela, chapeau
l'artiste...
On se le regarde cette semaine normalement. Je t'en dirai ce que j'en pense.
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