Du Causse Méjean jusqu'à Abidjan, le réalisateur français Dominik Moll, auteur de Harry, un Ami qui vous veut du Bien en 2000, Lemming en 2005 ou Des nouvelles de la Planète Mars en 2016 filme ce qui demeure rien moins que son meilleur film. Une œuvre labyrinthique aux ramifications multiples. Un thriller tendu jusqu'à la corde en milieu paysan et dans les bidonvilles de l'ancienne capitale administrative et politique de Côte d'Ivoire. Une véritable leçon de mise en scène, de montage et d'écriture. Preuve s'il en est que le cinéma français à encore de belles années à vivre devant lui. Seule les Bêtes est d'une subtile concision. Mais quel rapport peut donc entretenir le cadavre d'Evelyne Ducat (l'actrice Valeria Bruni Tedeschi) avec le fermier bourru Joseph Bonnefille (Damien Bonnard), l'éleveur de bétail Michel Farange (Denis Ménochet), la jeune Marion (Nadia Tereszkiewicz) ou encore l'abidjanais Armand (Guy Roger N'Drin) ? C'est cette question (et à tant d'autres) à laquelle tente de répondre le long-métrage de Dominik Moll, et d'expliquer dans quelles circonstances Evelyne est morte. Le cinéaste accouche d'une œuvre absolument remarquable, entre drame rural et Agatha Christie, le spectateur ne sortira pas indemne de ce jeu de rôle maîtrisé de bout en bout.
Difficile
d'évoquer le scénario sans livrer les clés du mystère. Disons que
le récit tourne autour d'un événement dont l'intervention va avoir
sur le reste de l'intrigue des conséquences inattendues de la part
des protagonistes. Un effet boule de neige dont personne ne sortira
indemne. Le scénario de Dominik Moll et Gilles Marchand s'inspire du
roman éponyme de l'écrivain français Colin Niel. Le réalisateur
exploite l'austérité de la campagne cévenole plongée dans un
hiver glacial pour noyer le poisson et perdre le spectateur dans un
doute profond. Bien que certains protagonistes puissent être
rapidement écartés des éventuels suspects, trois d'entre eux vont
nourrir la suspicion. Pourtant, plutôt que de s'acharner à épaissir
son intrigue d'un voile opaque autre que celui causé par les
intempéries, Dominik Moll distille au compte-goutte des indices qui
laissent entrevoir la terrible réalité. Et pour cela, le
réalisateur applique une technique couramment utilisée qui consiste
en une série de flash-back dont la particularité est de revenir de
manière récurrente sur certaines situations tout en les filmant du
point de vue des différents personnages. C'est donc sous des angles
inédits que nous sont proposées certaines séquences qui alors,
prennent un sens nouveau.
En
la matière, Laurent Roüan propose un montage précis respectant un
cahier des charges rigoureusement métronomique. Ce qui, chez le
spectateur prend concrètement la forme d'une vue de l'esprit qu ne
sera étayée que lorsque l'ensemble des pièces du puzzle seront
réunies. Autant dire que s'il en manquait une, tout l'édifice
s'écroulerait. Ce qui fort heureusement n'est pas le cas. Outre la
réalisation et le montage, Seules les Bêtes
bénéficie
de tout un panel d'efforts alloués à la mise en chantier d'une
œuvre entièrement vouée à ses interprètes. En retour, ceux-ci
entreprennent tous d'une manière égale et linéaire de donner vie à
leur personnage respectif. Qu'il s'agisse de Denis Ménochet, de
Laure Calamy (épatante dans le rôle d'Alice Farange, l'épouse de
Michel), de Valeria Bruni Tedeschi ou de n'importe quel autre
interprète, tous font preuve d'une flamboyante expertise. À titre
d'exemple, c'est ainsi que Michel apparaîtra tour à tour
inquiétant, puis naïf, allant même jusqu'à en perdre tout son
sens du raisonnement. Évoquons également la partition musicale du
compositeur allemand Benedikt Schiefer qui après avoir signé une
majorité de bandes-son pour certains de ses homologues, compose pour
Seules les Bêtes,
une partition poétique et envoûtante cernant avec aisance
l'atmosphère pesante du film. On peut donc raisonnablement
considérer le dernier long-métrage de Dominik Moll comme un
authentique chef-d’œuvre du polar français, et du thriller tout
court. Un must !


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