Quand on aime l'américain
David Lynch et le français Bertrand Blier et quand l'un meurt le 15
janvier 2024 et le second seulement six jours plus tard, on pourrait
presque croire à une morbide machination visant à briser le moral
d'un cinéphile ! Changeant rapidement de braquet après le
pourtant très réussi Si j'étais un espion
réalisé en 1967, le fils de l'un de nos plus illustres anciens
interprètes du nom de Bernard Blier s'est fait le chantre hexagonal
de la provocation. Scénariste chez les autres (Laisse
aller... c'est une valse
de Georges Lautner en 1971, Debout les crabes, la
mer monte! de
Jean-Jacques Grand-Jouan en 1983 ou encore Grosse
fatigue
de Michel Blanc en 1994), Bertrand Blier a toujours su se réserver
la crème de ses écrits. Comme Les
valseuses,
adapté à l'écran deux ans après sa parution dans les librairies.
Ou bien Beau-père
en 1981 et Les
côtelettes
en 1997. Sans compter ceux qui n'eurent pas les honneurs d'une
adaptation sur grand écran, comme Fragile
des bronches,
paru voilà deux ans. Si la carrière du réalisateur et ''fils de''
rencontra quelques malheureuses difficultés au cinéma (son dernier
long-métrage Convoi exceptionnel
datant de 2019 était objectivement très mauvais), Bertrand Blier
aura asséné quelques uppercuts que le grand public à cependant
l'habitude de réduire au seul Les Valseuses.
Film pas tout à fait unique en son genre comme les prouveront
certaines de ses œuvres à venir, ce fut surtout l'occasion de
découvrir pour la première véritable fois un trio d'acteurs
extraordinaires : Miou-Miou, Gérard Depardieu et Patrick
Dewaere. Un souffre d'air frais, libertaire, dans un contexte social
moribond fait en outre de délation. Liberté sexuelle et petite
délinquance copulèrent et donnèrent ainsi naissance à l'un des
grand mythes du cinéma français. Homme de théâtre, d'écriture et
donc de cinéma, Bertrand Blier n'a jamais cessé de vouloir
bousculer les convenances. Envisageait-il d'ailleurs ainsi
consciemment cet aspect de son travail ? Toujours est-il que les
féministes ruèrent dans les brancards à la sortie du jouissif
Calmos
en 1976. Modèle de misogynie et d'anti-féminisme assumé par le
réalisateur et par ses interprètes.
À
commencer par Jean-pierre Marielle et Jean Rochefort, bien entendu.
Deux autres Grands Messieurs du cinéma français.Avec un Gérard
Jugnot se fondant dans une peau en simili-collaborationnisme quand
les femmes y décident de prendre les armes pour contre-attaquer.
Mais qui donc à la place de Bertrand Blier aurait-il osé prendre
soin de ses personnages en les abritant dans un vagin aux dimensions
d'une grotte ? Bertrand Blier a ensuite déroulé
toute une série de longs-métrages aussi indispensables que ces deux
précédentes pépites. L'on songe bien entendu à Préparez
vos mouchoirs
dans lequel, cette fois-ci, Gérard Depardieu et Patrick Deweare
rencontraient la délicieuse canadienne Carole Laure. Misogyne,
Blier ? Rien n'est moins sûr. Surtout si l'on s'arrête un
instant sur le regard qu'il posa sur ses héroïnes. De la frigide
Marie des Valseuses
à la triste incarnation de Carole Laure dans ce film sorti cette
fois-ci en 1978. Sans oublier, plus tard, Isabelle Huppert/Viviane
dans La femme de mon pote,
Nathalie Baye qui interprèta un triple rôle dans Notre
amour
en 1984 ou plus loin encore lorsqu'en 1991 il offrait les deux
principaux rôles à des femmes dans le sublime Merci
la vie
en les personnes de Charlotte Gainsbourg et... Anouk Grinberg qui à
l'époque ne fut rien moins que sa compagne. Une partenaire dans la
vie à laquelle il offrit encore juste après deux des principaux
rôles dans Un, deux, trois soleil
et Mon homme (qu'elle
incarna aux côtés de Gérard Lanvin). Défiant le public en lui
proposant une étonnante mise en abîme à la toute fin du siècle
dernier avec Les acteurs,
dans lequel une myriade d'interprètes se croisaient dans leur propre
rôle. Depuis quelques temps, alors, les projets s'espacèrent. Avec
plus ou moins de bonheur (Les côtelettes
vaut davantage pour sa version théâtrale que son adaptation sur
grand écran en 2003). Sept ans plus tard, plus cynique que jamais,
il signa Le bruit des glaçons
dans lequel Charles Faulque (Jean Dujardin) recevait la visite... de
son cancer (Albert Dupontel).
Entre
2003 et 2010 sortait Combien tu m'aimes ?,
sans doute le plus mal aimé de sa filmographie mais pourtant sans
doute aussi, l'un de ses plus émouvants avec Trop
belle pour toi
en 1989 et dans lequel Bertrand Blier traitait avec une infinie
subtilité la question de la beauté. En 1986 sortait Tenue
de soirée,
sans doute le film-somme d'une carrière passée et à l'époque, à
venir. Tout Blier y est condensé dans une comédie noire d'une
profondeur inouïe et dont l'écriture fut magistrale. Presque autant
que celle de Buffet Froid
qui reste sans doute le meilleur film du cinéaste français. Un
immense chef-d’œuvre dont la chaleur est proportionnellement
inverse à celle de ses plus beaux poèmes cinématographiques. Un
film fait de béton, dans des grands ensembles et des lotissements
qui enserrent leurs personnages. Un véritable monument, à
l'écriture aussi incisive que puisse l'être l'interprétation
générale et habité par son trio de tête, Gérard Depardieu,
Bernard Blier et Jean Carmet. Chaque actrice et acteur y trouvant le
terreau pour y donner le meilleur d'entre eux. C'est donc une
nouvelle fois un génie du cinéma qui nous quitte en ce mois de
janvier 2025. Un homme dont la reconnaissance aura dépassé les
frontières de l'hexagone, jusqu'à inspirer en 2018 à John Turturro
le long-métrage The Jesus Rolls,
remake des Valseuses...
Adieu Monsieur Blier. Je crois bien qu'en allant rejoindre votre père
là-haut, vous pourrez désormais vous fendre ensemble la gueule en
vous penchant sur ceux qui vous succéderont sur notre bonne vieille
Terre...
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