Avant de mettre en scène
son tout premier long-métrage Pisma Myortvogo Cheloveka
(Lettres
d'un homme mort)
en 1986, le réalisateur russe Konstantin Lopouchanski fit ses armes
au cinéma en 1979 en tant que stagiaire sur l'immense Stalker
de
son compatriote Andreï Tarkovski. En cela, leurs œuvres respectives
partagent ce même goût de la décrépitude, du désespoir, d'un
certain mutisme verbal et d'une esthétique de vieilles cartes
postales. Pisma Myortvogo Cheloveka
saisit par son approche visuelle remarquable, toute de sépia,
représentative du cadre post-apocalyptique durant lequel se situe
l'action. Le film sort en 1986, peu de temps avant la catastrophe de
Tchernobyl. Ce qui, en un sens, la rend visionnaire de ce qui aurait
pu être le visage de l'Europe et pourquoi pas, de la planète toute
entière, si des légions d'hommes n'avaient pas sacrifié leur
propre existence pour que soit évitée une seconde explosion dans
la centrale nucléaire V.
I. Lénine de Pripyat.
Sauf que dans le cas du long-métrage écrit et réalisé par
Konstantin Lopouchanski, l'apocalypse a bien eue lieu. Le film se
positionnant moins comme une œuvre fantaisiste que comme le reflet
de technologies employées à mauvais escient par l'homme, le
réalisateur russe questionne l'humanité sur son sort, son statut
ainsi que l'espoir théorique de retrouver la vie d'avant. Avec un
intelligence rare, le scénario explore la face sombre et plus que
jamais d'actualité de l'homme faisant de cet être orgueilleux se
prenant pour Dieu, le seul et unique responsable de sa propre
destruction. Chef-d’œuvre absolu du cinéma soviétique, Pisma
Myortvogo Cheloveka est
non seulement comparable au cinéma d'Andreï Tarkovski mais
également à celui de Piotr Szulkin (Golem,
O-bi,
O-ba - Koniec cywilizacji ou
Ga, Ga - Chwala bohaterom),
cinéaste d'origine polonaise qui de son côté redéfinissait lui
aussi les contours esthétiques du cinéma slave des années
soixante-dix/quatre-vingt en apposant une marque qui s'est ressentie
depuis jusque chez le réalisateur danois Lars Von Trier et sa
fameuse trilogie du E (Element of Crime,
Epidemic
et Europa)...
Pisma Myortvogo
Cheloveka inverse
certaines valeurs sans doute propres à l'Occident puisqu'y sont
communiquées des préceptes qui nous paraîtront sans doute
inhumaines : alors que se prépare l'abandon d'abris
anti-nucléaires à destination d'un Bunker Central, la question des
priorités se pose de façon inattendue. Les enfants ainsi que les
malades étant volontairement laissés derrière, abandonnés au
profit des hommes et des femmes de constitution saine. Une logique de
la survie qui peut se comprendre (pourquoi s'embarrasser d'individus
de toute manière condamnés à mourir prochainement de faim, de
maladie ou de radiations) mais qui interroge sur certaines valeurs
morales et sur la survie de l'humanité (les enfants ne sont-ils pas
en revanche censés représenter l'avenir de l'Homme?). Le fait de
rendre prioritaires les adultes des deux sexes au détriment de leur
progéniture peut sembler injuste mais revêt ici une justification
des plus logique : il ne demeure en effet dans Pisma
Myortvogo Cheloveka,
aucun espoir de retrouver un jour la lumière du soleil. Par
conséquent, l'avenir de l'humanité y est irrémédiablement
compromise. Sauver les enfants, c'est donc leur faire subir de
grandes souffrances. Les abandonner est une manière, certes, un peu
lâche, de leur épargner une ''trop longue'' agonie. Il en est
cependant qui parmi les adultes gardent l'espoir. Le héros du récit
est incarné par l'acteur soviétique Rolan Bykov. Il interprète le
rôle du professeur Larssen, celui qui en compagnie de plusieurs
autres adultes a choisi de rester dans son abri afin de protéger les
enfants. Il faut dire que dehors, l'ambiance et l'atmosphère sont
plutôt sinistres. L'air y est irrespirable, les corps jonchent le
sol et la ville n'est plus qu'un amoncellement d'immeubles détruits.
Si les raisons de la catastrophe demeurent sibyllines, on retiendra
surtout du long-métrage de Konstantin Lopouchanski son visuel
époustouflant, représentatif de cette culture du Cyberpunk
né
deux ans auparavant à travers le romancier William Gibson et son
ouvrage Neuromancien.
Le film pose les bases d'un style empruntant autant au New
York 1997
de John Carpenter qu'à l'univers de son maître à penser Andreï
Tarkovski. Œuvre d'art cinématographique et picturale, Pisma
Myortvogo Cheloveka
dépeint sans doute la fin du monde avec l'énergie d'un escargot en
fin de course mais propose pour les yeux du spectateur, un spectacle
continu. Ou lorsque la laideur confine au sublime, avec en
arrière-plan, un vrai message écologique...
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