Je me souviens encore
assez clairement de ce jour du début des années quatre-vingt dix où
je lisais dans l'un des numéros du mensuel fantastique Mad Movies
la sortie prochaine de The Guardian
de William Friedkin. De ces films au titre un peu stupidement
traduits de travers, et dans le cas présent sous celui de La
nurse.
Un long-métrage que l'on croirait tout d'abord sorti du même cru
que celui de n'importe quel scénario mettant en scène une dingue
s'appropriant le bien d'autrui mais qui de son statut d’œuvre
fantastique sort quelque peu du lot. Mad
Movies donc,
qui dans un vieil exemplaire évoquait le retour de William Friedkin
au cinéma d'épouvante dix-sept ans après le choc L'exorciste.
Une gageure pour un réalisateur pourtant inestimable mais auteur
d'un film ayant atteint un tel niveau d'exigence qu'il était
difficile d'imaginer qu'il puisse réitérer l'exploit. Car il faut
le reconnaître, The Guardian
n'atteint tout juste que le premier degré de l'horreur sur une
échelle de cinq. Quelques légers frissons tout au plus et trois ou
quatre plans gore sympathiques viennent émailler une œuvre, au
fond, très étrange dans sa conception. Si le procédé était
nettement moins systématique à l'époque, le film s'ouvre sur une
séquence qui ne laissera aucun doute sur les intentions de la nurse
en question. La jolie Camilla qui plus tard s'invite chez Kate et
Phil, un couple qui vient d'avoir un enfant. Trop occupés pour s'en
charger eux-mêmes (il faut les voir rechigner à se lever la nuit
pour s'en occuper lorsqu'il se met à pleurer), ils confient à la
jeune femme le soin de s'en occuper. Douce et attentionnée, Camilla
est parfaite dans son rôle. Séduisante aussi, ce qui ne laisse pas
le père du bébé indifférent...
Mais
plutôt que de nous resservir le plat tiède d'un récit déjà vu
ailleurs, les scénaristes Dann Greenburg et Stephen Volk tordent le
concept et proposent un récit qui évacue tout ce qu'attendent les
spectateurs dans ce genre de production. On s'attend à ce que le
père de famille entretienne une relation avec la nounou ? Et
bien, il n'en sera rien. Car l'attitude apparemment obsessionnelle de
Camilla n'est due qu'à un phénomène très étrange. Un rite dont
William Friedkin n'a visiblement pas l'intention de nous donner les
origines profondes. L'auteur de Sorcerer
et de French Connection
ne garde pas longtemps le secret et tel un gamin pressé de montrer à
ses parents le nouveau dessin qu'il vient de faire de la maison et du
jardin où ils vivent, il s'empresse d'exhiber le contenu fantastique
de The Guardian.
Camilla n'est effectivement pas une femme comme toutes les autres.
Liées intrinsèquement à un arbre se cachant au cœur d'une forêt,
on ne connaît pas vraiment sa nature de sorcière ou de simple
disciple de ce végétal qui porte les stigmates de méfaits passés
et que la jeune femme s'apprête à renouveler bientôt avec le bébé
du jeune couple. Goulu dans son intention de jeter en pâture le
couple formé par Carey Lowell et Dwier Brown, William Friedkin
grille malheureusement certaines cartouches sans se rendre compte que
son œuvre plonge parfois les deux mains dans l'invraisemblable. Et
l'on ne parle pas ici du simple élément fantastique mais
d'attitudes contraires à toute logique. Car alors, comment justifier
certains comportements ? Mais nous reviendrons dessus un peu
plus loin. Là où William Friedkin se montre soit stupide soit d'une
redoutable intelligence, c'est dans sa manière d'appréhender le
mode de pensées et les référénces culturelles de ses futurs
spectateurs... Un coup de téléphone, un message inquiétant, le
père de famille qui l'écoute et Camilla qui l'interrompt avant
qu'il n'en saisisse vraiment l'urgence du contenu... Si n'importe
quel autre réalisateur aurait tout fait pour que disparaisse ensuite
le message du répondeur avant qu'il n'éclaire le couple sur la
véritable personnalité de la nourrisse, William Friedkin, lui,
laisse les choses en l'état pour que le message serve au moment
fatidique, à convaincre Kate que Camilla n'est pas celle qu'elle
croit être...
Ce
qui peut apparaître comme une pichenette scénaristique inattendue
est peut-être au fond une manière peu élégante de faire évoluer
le récit sans trop se prendre la tête à chercher de quelconques
subterfuges. Une généralité pour The Guardian
dont
le fil du récit s'écoule tranquillement, sans la moindre aspérité
qui ferait du scénario des deux hommes l'exemple même de la trame
tortueuse, avec ses coups de génies et son climax tendu. L'exorciste
était une série A. The Guardian,
lui, se range directement dans la catégorie des séries B où se
côtoient des milliers d'autres films d'horreur. Jenny Seagrove qui y
incarne Camilla est aussi belle qu'inquiétante. En reprenant le
concept de la forêt agressant ceux qui y pénètrent à la manière
de Evil Dead
de Sam Raimi, William Friedkin ajoute à son œuvre quelques plans
gore plutôt sympathiques mais dont on regrettera qu'ils soient
insuffisamment exploités à l'image. Mieux vaut être attentif en
effet devant des séquences qui ne durent en général qu'une
micro-seconde. Têtes et membres arrachés, arbre qui saigne et bébés
''gravés'' dans l'écorce, le film bénéficie d'un joli travail en
matière d'effets-spéciaux... mais de quelques séquences assez
cheap également comme Camilla volant à travers la forêt. Les loups
demeurent peut-être l'élément le plus inquiétant en dehors du
contraste saisissant entre la voix douce de Camilla et ses
agissements. Quelques détails vraiment flippants s'adressent à un
public venu frissonner (la nourrice placée dans l'angle d'une pièce)
mais comme évoqué plus haut, des invraisemblances viennent gâcher
une partie de l'intrigue. Attaqués par des ''coyotes'', Kate demande
à Phil de l'attendre avec le bébé dans la forêt. C'est à dire au
dernier endroit où il nous viendrait l'idée de nous réfugier.
Pire : comment justifier le fait que le père de famille se
rende directement là où se trouve l'arbre maléfique pour le
détruire alors même qu'il n'y a jamais mis les pieds et qu'il n'a
aucune connaissance de sa situation ou de son pouvoir ? La
dernière partie de The Guardian
est entreprise un peu trop rapidement sans que William Friedkin ne
semble avoir réfléchi à certaines décisions. Cependant, le film
est une honnête série B horrifique dont le rythme relativement
relevé empêche que l'on s'y ennuie. Un film qui reste pourtant
mineur dans la carrière de ce grand cinéaste...
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