En préambule au double
article que j'ai décidé de consacrer au diptyque formé par Le
tigre du Bengale
et Le Tombeau Hindou,
traduction plus ou moins fidèle pour l'un (Der
Tiger von Eschnapur)
et tout à fait respectueuse pour l'autre (Das
indische Grabmal)
de deux longs-métrages parmi les plus grands réalisés par le
cinéaste austro-hongrois Fritz Lang, évocation d'un souvenir
lointain. Très lointain. Si lointain même que je ne me souviens
plus si je dois désigner le Ciné-Club
ou bien le Cinéma
de Minuit.
Deux émissions qui me furent chères, mais dont une seule marqua à
jamais mon esprit à travers la diffusion d'un cycle justement
consacré à Fritz Lang. Si mes souvenirs sont bons, tout avait
démarré avec le fantastique (dans tous les sens du terme) Der
Müde Tod de
1921, poursuivi par Dr Mabuse der Spieler
réalisé l'année suivante et auquel succédèrent au hasard Fury
de 1936, Man Hunt
de 1941, House by the River de
1949 ou encore The Big Heat
de 1953. Sans oublier, donc, ces deux chefs-d’œuvre du cinéma
d'aventure que sont Der Tiger von Eschnapur
et Das indische Grabmal
respectivement réalisés en 1958 et 1959. Toutes les périodes de
Fritz lang y figurèrent. À Commencer par l'Allemagne, qu'il quitta
pour se rendre aux États-Unis pour cause de Nazisme (dont le
réalisateur prit un soin particulier à se faire le pourfendeur)
juste après avoir fait un tout petit tour en France, avant de
revenir en Allemagne, celle de l'ouest où il termina sa carrière
avec une poignée de longs-métrages dont les deux qui nous
intéressent ici... Mais Fritz Lang, ce fut aussi un cinéma sous
toutes ses formes. Du noir et blanc à la couleur, et du muet au
parlant. Peut-être accorderai-je un cycle à ce géant du septième
art, mais d'ici là, bienvenue dans la ville imaginaire d'Eschnapur
où se situe l'action du Tigre du Bengale...
Notez
qu'une première version fut réalisée en 1938 par l'allemand
Richard Eichberg, dans un noir et blanc restrictif qui empêchait le
majestueux exotisme de l'Inde de s'y déployer totalement. Beaucoup
plus ambitieux sur le papier et à l'écran, la version de Fritz Lang
enfonce à tel point profondément la mouture de Richard Eichberg que
l'on peut se poser la question : ''Mais
qui s'en souvient aujourd'hui ?''.
Si la couleur ne fait pas tout, elle semble ici plus que jamais un
élément essentiel. Lui ôter cet atout serait comme de couper les
cou%##es d'un lion pour en faire ensuite le héros d'un documentaire
consacré au roi de la savane... Lorsque l'on regarde en arrière,
une grande partie de l’œuvre de Fritz Lang fit l'apologie de la
noirceur. De son cycle consacré au Docteur Mabuse, en passant par M
le Maudit,
portrait (mais pas que) d'un tueur en série fictif inspiré d'un
criminel ayant réellement existé (le sinistre Peter Kürten), cette
insupportable traque dont fut victime l'extraordinaire Spencer Tracy
dans Fury,
ou encore le visionnaire et dystopique Metropolis
dont la version intégrale longue de deux heures et trente-trois
minutes semble perdue à jamais. Après un Technicolor
bichrome très coûteux et qui donc s'effondre arrive sur le marché
le Technicolor
trichrome qui rend hommage à toute la palette de couleurs (le rouge,
le vert et le bleu rendent chacun sensibles autant de négatifs qui
sont entraînés simultanément). Si l'on ne pense pas immédiatement
au Tigre du Bengale
lorsque l'on évoque cette technique, celle-ci semble avoir été
pourtant pensée pour ce genre de productions et notamment pour
l’œuvre de Fritz Lang qui utilise une technique proche connue sous
le nom de Eastmancolor.
Aussi surannés, voire kitsch que puissent paraître les images de
nos jours, dans mes souvenirs c'est une véritable explosion de
couleurs qui fait honneur à cet exotisme qui imprègne le
long-métrage dans sa totalité. Un film d'aventure, oui. Mais aussi,
une histoire d'amour mêlée d'une dualité entre deux hommes.
L’architecte Henri Mercier d'un côté, le maharadjah Chandra de
l'autre... Pour les yeux et les faveurs d'une femme, la belle
Seetha...
Si
la question généralement cruciale du choix de la langue vous
étreint l'esprit, pas d'inquiétude à avoir : la version
française conviendra tout à fait si vous n'adhérez pas au fait que
Seetha puisse par se manifester dans la langue de Goethe malgré ses
origines indiennes. On pourrait rétorquer de même pour son doublage
en français effectué par Michèle Montel, mais l'architecte Henri
Mercier étant d'origine hexagonale (dans cette version en tout cas),
il est déjà nettement plus envisageable pour nous d'entendre ces
deux là ainsi que les autres s'exprimer en français. Fort de
quelques incohérences dont un Henri Mercier à peine marqué par
l'enfant qui vient de tomber entre les griffes d'un tigre à peine le
récit entamé, Le tigre du Bengale
risque de faire des victimes collatérales parmi celles et ceux qui
espéraient sans doute une version exotique du puissant Sur
la route de Madison
de Clint Eastwood alors que l’œuvre de Fritz Lang devra être
davantage envisagée comme une alternative au très romantique
Angélique, Marquise des anges
que Bernard Borderie réalisera cinq ans plus tard. Autre lieu, autre
temps, autres origines... Représentation de divinités aux
dimensions parfois stupéfiantes, hommes enturbannés, femmes
voilées, maisons en terre crue, tabla, Bansuri,
mais, fait étonnant, pas de sitar à l'horizon. Palais, et
léproserie illuminés par des flambeaux, costumes recouverts d'or et
de joyaux... Le tigre du Bengale
tente le jusqu’au-boutisme exotique mais à y regarder de plus près
et surtout, avec un regard neuf, l'Inde rêvée, vue à travers les
cartes postales où les reportages n'y est pas forcément
représentée. Plutôt une Inde de contes et de légendes. Ce grand
film d'adolescence s'est fané. S'est délité petit à petit pour
qu'aujourd'hui, son aspect ''toc'' soit plus étalé à l'écran que
jamais. Si son budget dix fois moindre que celui du Cléopâtre
de Joseph L. Mankiewicz le condamne à ne pas entrer dans la
postérité, c'est sans doute cette différence entre les quarante
millions de l'un et les quatre de l'autre qui font que justement,
l'on se souvienne du premier plutôt que du second. C'est presque une
tragédie que de se demander plus de trente ans après sa découverte
quels purent être les éléments du
tigre du Bengale
qui faillirent en faire l'un de mes films de chevet. Les fastueux
décors manquent de vie. Derrière les murs du palais du maharadjah
Chandra, les grands espaces nus s'enchaînent et la vie grouillante
que l'on imaginait est absente.
Cependant,
cette première partie évoque déjà l'esprit de vengeance dont est
capable le séducteur mais tyrannique maharadjah. Interprété par
l'acteur autrichien Walter Reyer, il est opposé à l'écran au
suisse Paul Hubschmid avec lequel il entre en guerre pour le cœur
d'une Seetha sensuelle interprétée par l'actrice et ancienne
danseuse américaine Debra Paget... À l'origine
du Tigre du Bengale,
un scénario. Celui du réalisateur lui-même et de Werner Jörg
Lüddecke qui adaptent ensemble le roman Le
tombeau hindou de
Thea von Harbou qui ne fut autre que l'épouse de Fritz Lang et
écrivit pour lui une partie des scénarii de ses films parmi
lesquels Die Nibelungen
en 1924, Metropolis en
1927 ou M le maudit en
1931 ainsi que pour d'autres réalisateurs comme le célèbre
Friedrich Wilhelm Murnau. Complots et fourberies sont ici au centre
d'un récit qui mélange décors naturels et décors de studio qui
nuisent grandement à l'immersion. Beaucoup d'entre eux sonnent
effectivement faux et empêchent l'immersion. Quant à cette passion
dévorante entre Seetha et Henri Mercier, la musique du compositeur
russe Michel Michelet ne lui rend malheureusement pas hommage.
L'ensemble se révèle relativement plat et convenu et ce Tigre
du Bengale
adulé dans les années quatre-vingt semble désormais bien anodin.
Ce qui paraît ambitieux à l'évocation ne s'avère plus aujourd'hui
qu'un film d'aventure aux péripéties trop simplistes pour être
considéré comme un classique du genre. Demeure alors le nom de son
auteur et l'espoir d'une séquelle qui aura réussi à corriger les
erreurs d'un Tigre du Bengale
finalement fort décevant...
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