L'idée de me lancer dans l'exploration du cinéma de Jacques Rivette
est en partie le fruit du hasard. En partie parce que d'un côté,
j'ai revu il y a quelques jours La Belle Noiseuse,
seul long-métrage du cinéaste que je connaissais jusque là. Et de
l'autre parce que c'est l'ami Mike, de l'excellent blog ''Les Chroniques musico-cinématographiques de Mike'' que je vous conseille
de visiter si vous voulez exercer vos méninges devant sa très belle
plume, qui a lancé l'idée en me conseillant, entre autre, de me
pencher sur les douze heures trente que constitue le film-fleuve Out
1 : Noli me Tangere
que Jacques Rivette coréalisa aux côtés de la réalisatrice et assistante
française Suzanne
Schiffman. Le problème avec ce genre de projet, c'est que lorsque
l'on n'est pas coutumier de ce genre de concept, on peut très vite
s'égarer, perdre le fil, ou bien tout simplement passer à côté
des intentions de son auteur. Faut-il alors se résoudre à compulser
articles et commentaires en pagaille pour en connaître davantage sur
ce type de projet, au risque d'en connaître trop avant même de
l'avoir soit-même découvert ? Ou vaut-il mieux naviguer à
l'aveugle au prix de remarquables surprises, de découvertes en
stupéfactions ? J'ai personnellement choisi cette seconde
option, même si cela doit me condamner à passer totalement à côté
du concept.
Si
à l'époque de sa sortie, le film de Jacques Rivette n'a pas ménagé
les spectateurs en sortant dans sa version intégrale de 12h30
environ, le film fut exploité beaucoup plus tard dans un format
constitué de huit parties distinctes, chacune de quatre-vingt dix
minutes environ. La première d'entre elles, intitulée Out
1 : Noli me Tangere - De Lili à Thomas
constitue une mise en bouche que Mike m'avait averti comme pouvant se
révéler ennuyeuse. Sauf que mon adhésion à ce style si
particulier fut acquise après un tout petit quart-d'heure. C'est
donc à peu de chose près à ce moment très précis que débute la
longue responsabilité d'évoquer ce premier épisode, riche
d'enseignements. Aussi riche que peu l'être un film, une pièce de
théâtre ou une danse contemporaine dont on ne souffre aucune
connaissance. C'est donc, comme une partie de ses interprètes, à
l'aveugle, spontanément et oserais-je dire, de manière improvisée
que je me lance dans le périlleux exercice de la critique.
D'ailleurs, je me demande encore si le travail à fournir doit
uniquement concerner l'interprétation ou s'il doit exclusivement se
référer au récit et aux impressions qui s'en dégagent.
Pour
ma part, j'y ai vu un véritable exploit. Non pas dans la mise en
scène de Jacques Rivette qui souffre peut-être ici d'un défaut
majeur: celui de n'avoir pas filmé l'acte central de ce premier
épisode en plan-séquence. Non, l'exploit dont je parle et qui dure
à peu de chose près une demi-heure, est celui durant lequel nous
assistons à une séquence proprement ahurissante durant laquelle,
une poignée de comédiens parmi lesquels nous retrouvons l'immense
Michael Lonsdale vont improviser autour d'un totem, d'une idole, à
grands renforts de gémissements, de cris, et de halètements. Mais
alors que cet exercice d'improvisation pourrait au demeurant paraître
superficiel, l'évolution de ce spectacle hors du commun s'avère
d'une stupéfiante cohérence. Bien que totalement joué à
l'aveugle, sans texte écrit et répété au préalable (en dehors de
la vague idée d'évoquer à un moment ou à un autre la tragédie
grecque Prométhée
enchaîné),
L'évolution des personnages qui tendent vers un certain paroxysme
s'élevant tout naturellement au grès des envies de chacun, mue,
évolue, se transforme pour trouver une forme d'apothéose, et même
plusieurs au cœur d'une improvisation où chacun y met du sien avec
plus ou moins d'ardeur. Out
1 : Noli me Tangere - De Lili à Thomas
consacre les coulisses d'une pièce en devenir. Entre fiction et
réalité (chaque comédien joue un personnage et n'apparaît donc pas sous sa véritable identité).
Aspect
essentiel et préparatoire à cet exercice éreintant : une
séance de relaxation. Puis Michael Lonsdale se lance le premier, et
les autres enchaînent alors dans une sorte de sabbat foncièrement
charnel. Les corps se mêlent, s'étirent, se recroquevillent. Et
toujours ces borborygmes indéchiffrables mais que l'impeccable
improvisation de chacun n'empêche pas à cette séance de recouvrir
un véritable sens. Jacques Rivette est au plus près de ses
comédiens et les filme dans une transe fiévreuse et animale. La
suite n'est pas moins intéressante puisque Michael Lonsdale ici
prénommé Thomas propose ensuite à ses partenaires d'évoquer
chacun à leur tour leur ressenti. Et l'on comprend mieux alors
l'importance de communiquer et surtout, celle de l'unité qui forme un groupe soudé. On aura du
mal à définir la frontière exacte qui sépare la réalité de la
fiction. Mais si dans un premier temps ce minuscule détail intrigue,
Out 1 : Noli me
Tangere - De Lili à Thomas
sait suffisamment happer le spectateur pour qu'on l'oublie très
rapidement. En terme de mise en scène, le travail de Jacques Rivette
est épuré. Ici, la recherche esthétique n'est pas fondamentale et
ce que cherche avant tout le cinéaste à mettre en valeur, ce sont
ses interprètes. Mission réussie... !
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