1973 : La Grande Bouffe
de Marco Ferreri.
Le film est sifflé et provoque le chaos au Festival de Cannes. Ses
interprètes sont sifflés eux également. Insultés, même. La
pauvre Andréa Ferréol n'a que vingt-six ans et s'en prend plein la
gueule. Le film est jugé de scandaleux. Une réputation que certains
jugent encore aujourd'hui d'actualité. L'année suivante, toujours à
Cannes, c'est au tour du cinéaste yougoslave Dusan Makavejev et de
son Sweet Movie avec Carole Laure d'être critiqué,
malmené, conspué. Trente ans et des milliers de longs-métrages
plus tard, le cinéaste hongrois György Pálfi
nous rappelle au bon souvenir de cette époque où, croyait-on, la
liberté d'expression n'était pas la même, très réduite, que nous
connaissons aujourd'hui. Taxidermia
fait partie de cette frange du cinéma qui se fourvoie dans le foutre
et la nourriture pour délivrer un message qui ne sera pas forcément
identifiable au premier regard. Une œuvre à sketches déroulant
l'histoire de trois individus de la même famille à trois époque
différentes.
Le premier d'entre eux se
nomme Morosgoványi Vendel. C'est un soldat qui sous les ordres de
son supérieur effectue des tâches ménagères ingrates. Affublé
d'un bec de lièvre, il s'enferme dans une minuscule cabane en bois
et y laisse s'exprimer ses fantasmes. A la solde d'un capitaine dont
les deux jeunes filles évoquent à Morosgoványi les plus vils
appétits sexuels, le jeune soldat commence à mélanger vie réelle
et fantasme. Voyeurisme, masturbation, humiliation et frustrations
sont le lot quotidien d'un homme qui pour soulager ses envies, ira
jusqu'à se fourvoyer dans une pratique sexuelle déviante
particulièrement rare : la zoophilie nécrophile. De cet acte jusqu’au-boutiste aussi magnifiquement mis en scène que sordide naîtra
un rejeton affublé d'une queue de cochon. Tandis que le sort de
Morosgoványi sera scellé, son supérieur réparera autant qu'il le
pourra cet « incident » en coupant la queue de
l'enfant...
Un
enfant qui a bien grandit lorsque débute le second sketch. Alors que
le premier contenait un propos sexuel ouvertement explicite (coït
non simulé, gros plan sur une verge en érection suivi d'une
éjaculation), celui-ci se situe à l'air de l'Union Soviétique et
met donc en scène Balatony Kálmán, le fils de Morosgoványi,
élevé par le lieutenant qui donna la mort à son géniteur. Dans un
sens, et outre le fait que l'intrigue s'articule autour de la
descendance de Morosgoványi, le récit semble perpétuer la
fascination de son auteur pour les transgressions physiques. Autour
des personnages de Balatony Kálmán et Aczél Gizi (respectivement
interprétés par Gergely Trócsányi et Adél Stanczel), on assiste
médusés à un concours de nourriture avec tout ce que cela peut
engendrer en terme de fascination ou de dégoût. De gargantuesques
personnages se goinfrant et libérant ensuite des litres de fluides
par la bouche. De quoi retourner l'estomac des plus fragiles. Après
la zoophilie, le cinéaste György Pálfi enfonce un peu plus le
clou en dévoilant d'outrageantes scènes d'émétophilie. Une
pratique outrée contrebalançant l'image respectueuse d'un pays (la
Hongrie) renommé pour être l'une des patries européennes les plus
riches en matière de gastronomie. Et tout ceci, sur fond de romance
entre un champion hongrois sur lequel repose tous les espoirs d'une
patrie et celle qui l'épousera, championne dans sa catégorie :
la viande. De leur union naîtra le héros du troisième et dernier
sketch qui donne son nom au long-métrage.
Ce
héros, c'est Balatony Lajoska, fils de Balatony Kálmán et
petit-fils de Öreg Balatony Kálmán. Rejeton rachitique d'une
lignée d'individus hors du commun. Après que son grand-père
(adoptif) ait exécuté son grand-père (naturel), que son père ait
épousé Gizi et lui ait donné un fils, c'est à dire Balatony
Lajoska lui-même, ce dernier s'est lancé dans un commerce bien
particulier consistant à empailler des animaux. Alors que sa
réputation ne cesse de grandir, dans l'arrière-salle du magasin qui
lui sert également de logis, Lajoska continue d'engraisser son père
dont les proportions n'ont jamais cessé d'évoluer depuis le départ
de son épouse. Pesant plusieurs centaines de kilos (au juger, cinq
ou six-cent), incapable de se mouvoir, c'est son fils qui s'occupe de
le torcher et de le nourrir. Un régime alimentaire exclusivement
constitué de barres chocolatées que Lajoska achète par lots de
huit-cent. N'espérant plus projeter sa passion pour son ancien
métier sur son fils malingre de fils, Kálmán exerce par
l'entremise de Lajoska trois félins enfermés dans une cage.
Humiliant Lajoska à l'excès et ce dernier n'en pouvant plus,
Kálmán se retrouve seul et, par accident, face à l'un des félins
qui alors l'éventre et se nourri de ses intestins. Cela devient une
habitude avec lui mais le hongrois György Pálfi appuie une nouvelle
fois là où ça fait mal. Derrière les coups moraux portés par le
père envers son fils, cet épisode de la vie des Balatony demeure
sans doute le plus émouvant.
Un père torturant l'esprit d'un fils
incapable de se construire une histoire personnelle. Derrière un
physique disgracieux, l'acteur berlinois Marc Bischoff offre une
composition chaleureuse, malgré toute l’ambiguïté qu'arbore son
personnage, un trait de caractère commun à tous les membres de
cette étrange famille. L’œuvre se conclue sur une image terrible
de sens. Horrible diront certains, mais demeurant sans doute comme
l'un des symboles les plus forts et les plus remarquables sur la
filiation entre deux générations d'une même famille. Au final,
Taxidermia
est trash, drôle, esthétisant, tragique, bouffon, admirablement mis
en scène (quelques mouvements de caméra sont étonnants). Les
décors sont magnifiques, la photographie est superbe, la bande
originale du célèbre compositeur électronique brésilien Amon
Tobin éclectique et l'interprétation magistrale. Une petite
tuerie !
Film étonnant, certes... mais trois fois BOF ! En fait, deux fois, vu que je ne suis pas allé au bout - peut-être était-ce une erreur - mais autant la Grande Bouffe (malgré une photographie certes moins léchée que celle de Taxidermia) m'avait subjugué, autant Taxidermia m'a laissé sans passion. Peut-être justement parce les coups du dégueulis, de la merde, des perversions sexuelles avaient déjà été exploités.
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