Pas facile de parler du
second long-métrage du cinéaste mexicain Emeliano Rocha Minter sans
forcément le comparer à certains grands artisans du septième art.
Comme ça, sans réfléchir, We are the flesh (Tenemos
la carne) m'évoque Gaspar Noé, Alessandro Jodorowsky,
Fernando Arrabal, Luc Besson ou encore David Lynch. Avec ou pas du
tout de légitimité d'ailleurs. L'air de rien, ce petit film risque
avec le temps, d'en devenir un grand. D'un bouche à oreille à un
festival, il fera (et a déjà d'ailleurs fait) parler de lui. We
are the flesh,
c'est la rencontre entre un frère et une sœur unis dans un même
combat pour la survie. Dans un monde qui nous est décrit
d'apocalyptique, ils errent à la recherche de la moindre denrée
alimentaire. Jusqu'au jour où ils croisent la route d'un homme plus
âgé. La quarantaine tassée. C'est d'ailleurs par lui que tout
commence. Un individu sauvage. Une bête suivant des rites immuables.
Singeant de vieux restes d'humanité avant d'entreprendre de souiller
ces deux jeunes « enfants ». Des âmes pures ? Pas
tant que cela puisque sans doute bien avant leur rencontre, Lucio et
Fauna avaient déjà en tête une idée bien précise de la tournure
que prendrait fatalement leur relation de frère et de sœur.
Mariano
est cet homme étrange qui va les pousser à aller plus loin dans
celle-ci. Les contraindre à franchir la barrière des tabous et des
instincts les plus vils. Les forcer à entretenir une relation
incestueuse. L'homme sème une graine qui en poussant va donner lieu
à une incessantes descente aux enfers. Un catalogue de perversités
auquel le cinéaste mexicain a réussi à donner l'apparence d'un
poème morbide. C'est peut-être en cela qu'il se rapproche d'un
Jodorowsky ou d'un Arrabal. Son barbu aurait pu traîner ses sales
pattes dans le El Topo
du premier ou dans le Viva la Muerte
du second.
Servant
de décor, l'appartement dévasté de l'ogre se mue peu à peu dans
une pulsion collective en un gigantesque utérus où vont s'ébattre
les deux nouveaux amants. Frère et sœur s'unissant dans une
étreinte charnelle sauvage et filmée à l'occasion à travers un
filtre quelque peu cheap mais reconnaissant espérons-le, comme
influence le Lost Highway
du cinéaste américain David Lynch. Maria Evoli et Diego Gamaliel
forment ce couple auquel l'acteur Noé Hernandez vole la pureté.
Sans aucune forme de concession, le cinéaste Emeliano Rocha Minter
enchaîne des scènes proprement hallucinante, faisant de
l'appartement-utérus le terrain fertile des fantasmes d'un homme qui
apparaîtra également comme un pur pervers. Tenemos
la Carne...
Carne...
comme le titre éponyme du troisième court-métrage de Gaspar Noé
auquel Emeliano Rocha Minter reprend sensiblement la thématique
puisque déjà le cinéaste français y révélait la troublante
relation d'un boucher avec sa fille, l'expérience qu'il prolongera
sept ans plus tard en 1998 avec l'éprouvant Seul
contre Tous avec
le génial Philippe Nahon.
Désormais,
le spectacle est total mais laisse présager un futur pour un cinéma
explosant toute forme de barrière entre simple suggestion et actes
réels pratiqués devant la caméra. On ne parle pas d'actes
criminels mais bien de sexe. L'actrice Maria Evoli acceptant
courageusement de pratiquer une fellation non simulée devant la
caméra. Premier actes d'une succession d'actes sexuels dépravés
dont le message « d'amour »
à son frère n'est pas parmi les moins épouvantables (vous
comprendrez en visionnant We are the flesh).
Le
film de Emeliano Rocha Minter est un choc sensoriel intense. Une
expérience visuelle et sonore fantastique. Un objet inattendu
produit par des cinéastes de la trempe de Alejandro Inarritu et
Alfonso Cuaron. Le sexe de la femme comme enfer sur Terre. Un Dernier
Combat surréaliste,
trash et... « menstruellement »
dérangeant. L'acteur Noe Hernandez y est époustouflant en monstre,
en exégète réinterprétant la face sombre de notre humanité.
Celle qu'il a d'ailleurs lui-même façonné puisque l'une des clés
de We are the flesh
semble
professer son retour à l'eternité lors d'une étrange accouchement.
Le Diable à visage humain. Le film de Emeliano Rocha Minter est un
bijou pour amateur avertis...
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