(Je dédie cet article à Micou et Anna qui m'ont poussé dans la bonne direction. Elles comprendront...)
Merde, un drame social.
Mince, un Ken Loach. Si j'ai bien entendu parler du bonhomme, et si
je connais sa très bonne réputation de cinéaste naturaliste engagé
dans une étude approfondie de la misère en Grande-Bretagne, c'est
bien justement à cause de cet aspect là que je n'ai jamais voulu me
plonger dans son univers. Ça n'est pas parce que l'on tente de fuir à
tout pris la religion qu'il faut se sentir obligé de brûler un
cierge chaque dimanche à l'église. Et ça n'est donc pas parce que
l'on essaie d'échapper à la moindre source d'information concernant
l'état de notre société qu'il faut rattraper son retard lors d'une
projection cinéma. C'est pourtant « poussé » vers
l'avant que je me suis rendu au théâtre de Narbonne, dans la
seule salle dévolue à ma passion, le septième art, et que j'ai
accepté, pour une fois, de vivre une expérience cinématographique
proche de la réalité.
Et comme l'histoire de
cet homme qui se fait appeler Daniel Blake se situe, de l'autre côté
de la Manche, je conservais un espoir qu'ici, en France, tout y est
différent. Tu parles...
Moi, Daniel Blake,
c'est un peu le chemin de croix du Christ, mais sans les coups de
fouet. On y retrouve également un peu de l'esprit des Douze
Travaux d'Asterix et de sa « maison qui rend fou »
dans laquelle le célèbre gaulois doit récupérer le formulaire
administratif 1.38. Le médecin de Daniel Blake, lui, interdit à son
patient de reprendre le travail après qu'il ait fait une crise
cardiaque. Le menuisier de cinquante-neuf ans prétend donc pour la
première fois de sa vie à l'Aide Sociale. Mais Daniel n'ayant pas
tenu ses engagements, on lui signifie la privation de ses droits à
cette même Aide Sociale. C'est le début des emmerdes, et surtout
d'un parcourt du combattant proprement incroyable auquel le cinéaste
Ken Loach a mis un point d'honneur à nous décrire de manière
terriblement réaliste.
On y découvre une
administration inhumaine et surtout, une société basée sur des
règles inflexibles qui ne tiennent jamais véritablement compte de
l'état de précarité de ses citoyens. Moi, Daniel Blake
nous apprend qu'en Angleterre, on peut attendre jusqu'à une heure et
quarante-huit minutes avant d'espérer joindre un correspondant au
téléphone. On y apprend que pour conserver ses droits au chômage,
il faut parvenir à prouver que durant trente-cinq heures par
semaine, l'ayant-droit a produit des CV et fait des démarches auprès
des employeurs. On y apprend qu'un employé des Services Sociaux peut
se faire réprimander par son supérieur s'il a le malheur de vouloir
apporter un peu d'aide et de réconfort à son prochain.
L'humanité,
Daniel Blake la trouve pourtant auprès de Katie, une jeune mère
célibataire qui elle aussi va faire les frais de la rigidité
administrative lors d'un rendez-vous au Jobcentre
où Daniel Blake lui-même tente de résoudre ses problèmes. Auprès
d'elle, de ses enfants, mais également de son voisin, le jeune
« black » débrouillard qui pour gagner sa croûte vend
des paires de baskets directement importées de l'usine.
Moi, Daniel Blake
est
un curieux mélange de sentiments. On ne sait trop s'il faut rire ou
s'affliger du labyrinthique destin qui pousse son héros à faire
reconnaître ses droits. Malgré la dureté du propos, le tragique se
mêle à l'humour. Des situations cocasses que seule l'administration
semble pouvoir générer. Toujours ces mêmes règles à respecter,
et qui demeurent immuables. Daniel Blake, c'est l'acteur et humoriste
britannique Dave Johns. Katie, c'est la jeune Hayley Squires. Un
formidable duo d'acteurs qui a su saisir toute la profondeur et la
force de leurs personnages respectifs. Ken Loach s'est, pour
l'occasion, livré à des recherches approfondies sur le sujet,
interrogeant hommes et femmes demandeurs d'emploi. Le constat est
affligeant : certains n'ont pas mangé depuis plusieurs jours,
d'autres se voient refoulés une fois arrivés sur leur lieu
d'embauche. Le scénariste Paul Laverty et le cinéaste dénoncent à
travers leur dernier film, les dérives de l'administration, mais
également de la presse de droite qui organise une véritable chasse
aux sorcières remettant en cause l'aide sociale pour ceux qui en
sont bénéficiaires. Pour un premier Loach, Moi,
Daniel Blake est
une véritable claque ! Une œuvre qui vous marque, qui laisse
une trace qui demeurera sinon indélébile, du moins présente pour
de longues semaines. Un formidable message d'amour adressé à une
population méprisée par les institutions, mais à laquelle Ken Loach
a rendu un très bel hommage. Une Palme d'Or à Cannes parfaitement
méritée.
Oui, une claque.... Et les acteurs jouent tellement juste... A début, on pense " fiction" ou "anticipation" devant l'absurdité et la "déshumanité" d'un tel système d'administration: Un système ou les chiffres et les quotas ont remplacé les rapports humains... Ou des formulaires "robotiques" et qui n'ont pas de sens remplacent l'écoute du prochain... Un système où celui qui n'a pas su s'adapter au "progrès technologique" est écarté de la société, condamné à crever dans son coin dans l'indifférence générale ( peut-être pas générale, mais danger pour qui ferait preuve d'un peu de compassion ! )... J'arrête là la liste pour ne pas spoiler le film...
RépondreSupprimerMais hélas, ni fiction ni anticipation car si l'on sourit au début devant certaines séquences surréalistes ( sentiment d'être égaré dans une "boucle temporelle" dit Daniel Blake), on réalise rapidement que nous baignons déjà dans cette absurdité, cette inhumanité... et qu'aucun d'entre nous n'est à l'abri de sombrer... Triste système de société que nous léguons à nos enfants et qui, loin de les protéger, met chacun d'eux en danger...
Le fameux discours de Ken Loach: Après les remerciements (en français) à son équipe, au jury et au Festival, le réalisateur a prononcé un discours très politique : « Recevoir la Palme, c'est quelque chose d'un peu curieux car il faut se rappeler que les personnages qui ont inspiré ce film sont les pauvres de la cinquième puissance mondiale qu'est l'Angleterre.
RépondreSupprimerC'est formidable de faire du cinéma, et comme on le voit ce soir c'est très important. Le cinéma fait vivre notre imagination, apporte au monde le rêve mais nous présente le vrai monde dans lequel nous vivons. Mais ce monde se trouve dans une situation dangereuse. Nous sommes au bord d'un projet d'austérité, qui est conduit par des idées que nous appelons néo-libérales qui risquent de nous mener à la catastrophe. Ces pratiques ont entraîné dans la misère des millions de personnes, de la Grèce au Portugal, avec une petite minorité qui s'enrichit de manière honteuse. Le cinéma est porteur de nombreuses traditions, l'une d'entre elles est de présenter un cinéma de protestation, un cinéma qui met en avant le peuple contre les puissants, j'espère que cette tradition va se maintiendra.
Nous approchons de périodes de désespoir, dont l'extrême-droite peut profiter. Certains d'entre nous sont assez âgés pour se rappeler de ce que ça a pu donner. Donc nous devons dire qu'autre chose est possible. Un autre monde est possible et nécessaire. »