Dheepan, Yalini et
Illayaal ne se connaissent pas. Ni de près, ni de loin. Et pourtant,
tous les trois vont débarquer en France avec le statut de réfugiés
politiques. Il n'ont aucun lien de parenté et pourtant, dans ce pays
qui leur est étranger, il vont former une famille. Ils vont devoir
apprendre à se faire accepter, apprendre à parler français, à
s'intégrer. Pourtant, dans cette cité dortoir qui vient de les
accueillir, rien n'est simple. La barrière de la langue est un frein
dans leur désir d'être invisible. La petite Illayaal intègre une
classe spécialisée afin d'apprendre le français, Yalini accepte un
emploi d'aide ménagère dans l'appartement d'un vieil homme sénile,
et quand à Dheepan, c'est le nouveau gardien d'un bloc d'immeubles,
propriété d'un gang de dealers...
Lorsque l'on entre dans
une salle pour assister à la projection d'une œuvre signée Jacques
Audiard, il y a peu de chance que l'on en ressorte déçu. Lorsque
l'on quitte celle de Dheepan, on a tout de suite envie de partager
ses sentiments. Et dire que ces derniers s'entrechoquent dans notre
esprit n'est pas qu'une formule de politesse pour le travail accompli
par le cinéaste. Pour parler à la première personne, je dirai que
ma première hantise est de tomber sur un groupe d'adolescents très
bavards et dont la place est ailleurs que dans l'obscurité d'une
salle de cinéma. De ce coté, j'ai cru pendant un instant que nous
aurions la paix. C'était sans compter sur la présence d'un club
d'un troisième âge dont l'un des membres n'a pu s'empêcher,
durant les deux qu'à duré le film, de commenter chaque scène.
Pourtant, et ce malgré
l'insupportable présence de ce parasite septuagénaire, ma compagne
et moi avons passé un extraordinaire moment de cinéma. Un cinéma
jouant sur la corde raide. Un cinéma-vérité qui n'use d'aucun
artifice pour montrer le vrai visage des cités telles qu'elles nous
sont parfois décrites dans les différents médias. Sauf que chez
Audiard, elle revêtent un visage VRAIMENT effrayant. A tel point que
je n'oserai plus dorénavant rappeler à mon entourage que je suis né
dans l'une d'entre elles. Les seules armes que nous avions à
l'époque étaient des arcs et des flèches de notre fabrication. Des
jouets d'enfants qui aimaient jouer aux indiens et aux cow-boys en
somme. Chez Audiard, c'est le chaos. Et pourtant, lorsque l'on
compare la nouvelle situation de nos trois réfugiés à celle de ces
petits français qui brandissent fièrement le drapeau de leur statut
d'enfants d'immigrés, on trouve celle de ces derniers d'une
incroyable puérilité. Comme le dit si bien le personnage de
Dheepan, la violence de ces jeunes n'est rien en comparaison de celle
qu'il a connu dans son pays. Des français incapable de saisir la
chance qu'ils ont de vivre dans un pays comme le nôtre.
Le destin de l'acteur
Antonythasan Jesuthasan est extraordinaire. Si Jacques Audiard lui a
vraiment offert ici un rôle en or, le sri-lankais sait de quoi il
parle dans ce film puisque lui-même fut enrôlé afin de combattre
aux côtés des Tigres de Libération de l'Ilam Tamoul au Sri-Lanka
alors qu'il n'avait que seize ans. L'actrice de théâtre Kalieaswari
Srinivasan obtient ici son premier rôle au cinéma. Quand à la
toute jeune Claudine Vinasithamby, elle est élève dans une école
de la région parisienne lorsqu'elle est choisie pour le rôle de
Illayaal.
Dheepan est dur. Dur déjà
parce qu'il dépeint une France que l'on aimerait chasser de notre
mémoire et qui est aux portes de nos villes. Dur parce qu'il nous
met face à nos a priori concernant les réfugiés politiques que
l'on prend cependant un malin plaisir à réduire au seul statut
d'immigrés. Dur aussi parce que Jacques Audiard, après avoir tenté
de nous attendrir (et il y parvient) devant ces trois êtres à
l'immense fragilité, assène aux spectateurs un climax final d'une
très grande violence et filmé comme seul lui sait le faire.
Quand au choix de prendre
des individus venus du Sri-lanka plutôt que de Syrie ou du Maghreb,
il permet aux plus réfractaires et aux anti-immigrés d'intégrer
plus facilement ces trois personnages. D'autant plus que les
Sri-lankais (et d'une manière générale les habitants de l'Inde
toute entière) sont relativement peu représentés dans les médias
français, et surtout, sensiblement mieux acceptés chez nous puisque
ne faisant jamais parler d'eux.
Jacques Audiard signe une
œuvre qui mérite amplement sa palme d'Or à Cannes. Voir une œuvre
comme Dheepan fait du bien à l'âme. Surtout, il nous la nettoie de
toute cette purge cinématographique que l'on s'inflige parfois. Rien
que pour cela, je dis : Merci Monsieur Audiard...
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