En 1963, le réalisateur,
scénariste et producteur américain Joseph L. Mankiewickz se lance à
son tour après Cecil B. DeMille avec Les Dix Commandements
en 1956 et William Wyler avec Ben-Hur en
1959 dans un projet pharaonique se penchant quant à lui autour du
célèbre personnage de Cléopâtre VII, reine d'Égypte de la
dynastie Lagide dans le courant du siècle précédent la naissance
du Christ. Un long-métrage fleuve de plus de quatre heures
constitué de plusieurs actes dont le premier se concentre surtout
sur la relation que la jeune femme s'autoproclamant comme étant la
déesse Isis entretint avec le tout aussi célèbre Empereur romain,
Jules César. Cette première partie d'une durée avoisinant les deux
heures, le spectateur est mis devant le fait accompli : ce n'est
pas lors de ce témoignage tantôt bouleversant (la mort de César y
est abordée de manière relativement effroyable), tantôt majestueux
(la fastueuse arrivée de Cléopâtre à Rome) que le spectateur
demeurera muet d'admiration devant la mise en scène,
l'interprétation et les décors de Cléopâtre.
En effet, Joseph L. Mankiewickz préfère davantage se pencher sur
la liaison de la reine égyptienne et de l'empereur romain que sur
leur rôle au sein de leur nation respective. Et même si sont
évoquées les batailles du César conquérant et les complots qui se
ourdissent autour des deux amants et notamment du romain qui
connaîtra le sort que l'on connaît, trahit par un groupe de
conspirateurs du Sénat parmi lesquels le propre fils de l'empereur,
Brutus...
... on
est encore loin de l'incroyable spectacle des Dix
Commandements
ou de Ben-Hur
dans cette première partie. Beaucoup de dialogues et donc de
bavardages et très peu d'action en dehors d'une séquence de siège
triste à mourir. Comparativement aux classiques de Cecil B. DeMille
et de William Wyler, le film de Joseph L. Mankiewickz apparaît tout
d'abord visuellement mineur. Ce qui peut d'abord se comprendre
lorsque l'on apprend qu'à l'origine, le budget alloué au projet
n'était que de deux millions de dollars quand on sait que treize
furent consacrés aux Dix Commandements
et quinze à Ben-Hur.
Finalement réévalué à hauteur de quarante-quatre millions, le
producteur américain Spyros Skouras, président de la Fox se verra ''poussé
vers la porte de sortie'' et contraint de démissionner de son poste.
Toujours est-il qu'avant d'en arriver là, cette ''mise en bouche''
qui offre autant d'importance au personnage de César qu'à celui de
Cléopâtre est en partie décevante. Les décors sonnent faux,
vides, la dite scène de siège demeurant le parfait exemple du
contexte dans lequel l'équipe technique, le cinéaste et ses
interprètes semblent contraints d'évoluer : alors que la
bataille est engagée, Joseph L. Mankiewickz use d'une ellipse
permettant d'écourter la séquence et de n'en montrer qu'une faible
partie. Fort heureusement, la patience du spectateur est récompensée
lors de l'arrivée de Cléopâtre dans une scène absolument
fabuleuse qui permet enfin au long-métrage de prendre une forme
beaucoup plus impressionnante. Décors, costumes et mise en scène
prennent les proportions que l'on espérait depuis les premières
minutes mais qui avaient tendance à se faire désirer.
Quatre
ans après l'époustouflant et sinistre drame que réalisa Joseph L.
Mankiewickz en 1959 (Soudain l’Été Dernier),
le cinéaste retrouve la sublime Elizabeth Taylor qu'il éclaire
cette fois-ci sous un jour bien différent en lui offrant le
rôle-titre de Cléopâtre. Dire que l'actrice américaine y rayonne
est bien en dessous de la réalité. Au delà de la relation
qu'entretient son personnage auprès de César qu'incarne
l'acteur britannique Rex Harrison, sa seule présence et son
incroyable beauté parviennent à elles seules à faire oublier
l'absence de rythme et d'enjeu autre que scénaristique de ces deux
premières heures. Gracieuse et féline jusque dans le regard,
Elizabeth Taylor déploie sa beauté sous des tenues vestimentaires
peinant à camoufler sa somptueuse silhouette. Parmi les seconds rôles (avant de tenir le plus important auprès d'Elizabeth Taylor), on note la présence de l'immense Richard Burton dont
l'actrice sera l'épouse à deux reprises (du 15 mars 1964 au 26 juin
1974 et du 10 octobre 1975 au 29 juillet 1976) et qui dans le rôle
de Marc Antoine n'est pour l'instant ''que'' maître de cavalerie et
l'un des proches conseillers de Jules César. Un personnage qui aura
éminemment plus d'importance après la mort de l'empereur.
Et
le miracle fut.... car les craintes qui émaillaient de cette
''première partie'' pourtant parfois somptueuse mais n'exploitant
qu'une partie infime de l'aura de ses personnages s'effacent au
profit d'une seconde beaucoup plus convaincante. Face à la passion
qui bientôt va réunir Cléopâtre à Marc Antoine, celle qui unit
la reine d’Égypte à César paraît alors bien timide et le
spectacle d'une moindre ampleur. À la mort de l'empereur romain,
Cléopâtre prend
la forme d'une refonte sublimée par une passion dont la teneur et la
puissance n'auront sans doute que très rarement l'occasion d'être
vécues avec autant d'intensité au cinéma à l'avenir par le
spectateur. Car même si Joseph L. Mankiewickz met désormais en
scène d'aussi rares que sublimes séquences d'affrontements (dont une superbe
bataille navale) entre
l'armée de Cléopâtre/Marc Antoine et celle d'Octave (incarné par
l'extraordinaire Roddy McDowall ici génial, fou, illuminé, ambigu)
qui pris la succession de Jules César à sa mort, le film arbore surtout une intensité dramatique
rare et jusqu'auboutiste. Sur fond d'enjeux politiques, territoriaux
et économiques, Cléopâtre
est plus qu'un film historique, plus qu'un péplum, plus qu'un film
de guerre... Il est d'abord un formidable témoignage sur l'amour, la
passion et la dévotion réciproques. Que Joseph L. Mankiewickz
aurait tout aussi bien pu titrer ''La
plus belle histoire d'amour jamais contée...''
un film-fleuve de plus de quatre heures dont il existe même une
version director's cut dépassant allégrement les cinq heures.
L’œuvre de Joseph L. Mankiewickz est la plus complexe qu'il ait
eu à mettre en scène mais aussi sans doute la plus remarquable. Un
long-métrage dont on ne sort pas indemne. Une tragédie épique et
romanesque, fulgurante et un duo Elizabeth Taylor/ Richard Burton
inoubliable. Un chef-d’œuvre absolu...
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