Jean-Marc Faure, c'est d'abord Daniel Auteuil. Mais Jean-Marc Faure,
c'est aussi et surtout Jean-Claude Romand. Et même si l'actrice et
cinéaste Nicole Garcia a choisit de changer le nom des protagonistes
de l'une des affaires judiciaires françaises les plus remarquables,
Faure représente indéniablement le double fictionnel d'un homme
qui durant dix-huit ans a construit son existence sur un immense
mensonge. Et même une succession de mensonges. Toute la difficulté
de l'entreprise que s'est chargée d'adapter au cinéma Nicole Garcia
à partir de l'ouvrage écrit par le scénariste, écrivain et
réalisateur Emmanuel Carrère, est de rendre charnelle l'histoire de
cet homme. Pari réussi, car c'est bien le poil dressé et la chair
de poule que le spectateur assiste au déroulement d'une intrigue
aussi réelle qu'incroyable. Comment, en effet, un homme a-t-il pu si
bien tromper son entourage et cela, pendant de si nombreuses années ?
Épouse, enfants, parents, belle-famille et amis ont tous découvert
que Jean-Marc Faure a bâtit la totalité de son existence sur des
mensonges. Comme Romand dans la vraie vie, le personnage de fiction
admirablement interprété par Daniel Auteuil a en effet caché aux
siens la vérité sur sa vie. Jamais il n'a travaillé à l'OMS
(Organisation Mondiale de la Santé). Jamais il n'a gagné le moindre
sou.
C'est ainsi que Nicole Garcia décortique le procédé mis en
place par un homme qui ne pouvait de toute manière échapper à son
funeste destin, et malheureusement, à celui de ses proches. Trop
aimant, et n'assumant pas les faits dans toute leur monstruosité, il
franchit un cap supplémentaire dans l'horreur, et c'est ainsi ce que
nous propose de raconter L'Adversaire. D'abord inspiré
de l'ouvrage d'Emmanuel Carrère, mais aussi du fait-divers qui
marqua la chronique judiciaire au début de l'année 1993 lorsque
l'on découvrit les corps de Florence Crolet, l'épouse de
Jean-Claude Romand, et de leurs deux jeunes enfants, Caroline, sept
ans, et Antoine, cinq ans dans leur demeure, ainsi que les corps des
parents de Romand dans leur maison, le long-métrage de Nicole Garcia
sonne comme une longue plainte. Le gémissement sans fin d'un homme
désespérément seul dans son malheur. Contraint de mentir, de voler
ses proches (parents et beaux-parents) pour pouvoir subvenir à son
couple et leurs deux enfants. Un chemin de croix terriblement
douloureux extraordinairement incarné par un Daniel Auteuil atteint
physiquement et moralement.
Entouré d'une belle brochette d'interprètes tels que Géraldine
Pailhas, François Cluzet, Emmanuelle Devos, ou Bernard Fresson (et
j'en oublie), l'acteur incarne un personnage à fleur de peau, miné
par ce mensonge sans cesse grandissant. Une vie remise en question
au quotidien et qui va connaître sa première anicroche le jour où
son beau-père lui réclame une part de l'argent que son beau-fils a
semble-t-il placé pour lui. Sauf que comme dans la vie réelle, cet
argent, ainsi que celui des propres parents de Faure-Romand aura
servi à cet homme sans emploi à nourrir sa petite famille. Avec
toute la sensibilité qui la caractérise, Nicole Garcia réalise une
œuvre forte, troublante, étonnamment déprimante (le spectateur
ressent tout le poids du mensonge et la tristesse incarnée par
Daniel Auteuil). La musique d'Angelo Badalamenti participe à l'état
dépressif qui règne au sein d'une famille dont le bonheur factice
risque à tout moment de s'effondrer. Faure, dans le dernier acte, et
au delà du mensonge et des actes impardonnables dont il se rend
coupable afin d'échapper au regard et au jugement de ceux qu'il aime
et qui l'aiment, demeure devant la caméra, un individu
remarquablement touchant. L'Adversaire est une franche
réussite et l'un des portraits de tueur les plus implacables et les
plus émouvants que le cinéma français ait porté à l'écran
jusqu'à ce jour. Bouleversant...
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